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second acte, moins bien et avec quelque sécheresse le cantabile du dernier. Mlle Simonnet est d’une grâce touchante, et M. Cobalet possède une belle voix. Enfin l’orchestre a sonné comme il sonne rarement à l’Opéra-Comique ; ce n’est pas seulement à l’orchestration de M. Saint-Saëns qu’on le doit. Quant à la mise en scène, elle est réglée avec le goût le plus artistique.

L’Opéra nous a rendu Aïda, le premier des trois chefs-d’œuvre de Verdi. M. Blaze de Bury écrivait naguère: « Un maître a toujours les interprètes qu’il mérite. » Hélas! pas toujours; mais il les a quelquefois, et notamment cette fois-ci : Mme Krauss chante Aïda, et M. Jean de Reszké, Radamès. Depuis sa rentrée, Mme Krauss n’avait paru que dans Patrie; le rôle de Dolorès demandait beaucoup à la grande artiste et lui rendait moins. Le rôle d’Aïda n’est pas un de ces rôles ingrats; ici comme toujours, le génie donne un peu de lui-même à ceux qui le comprennent, et Mme Krauss le comprend. En elle, la flamme couvait encore; il a suffi d’une étincelle pour la rallumer. La qualité la plus rare de Mme Krauss, qualité maîtresse dans l’art, c’est la simplicité. Écoutez la chanteuse, regardez la tragédienne, et d’aussi presque vous le voudrez, vous ne surprendrez pas un geste excessif, pas une intonation exagérée. Elle ne force pas un mouvement, elle ne grossit pas un effet, et cependant chaque nuance porte avec sûreté, pénètre en nous à des profondeurs que nous ne savions pas même aussi profondes, Mme Krauss compose le rôle, elle le chante et le joue, on oserait presque dire elle le marche, avec une noblesse à la fois naturelle et royale; elle a sur le visage et dans la voix une immense tristesse et une bonté immense. Ce personnage d’Aïda est de ceux qu’on rend tout à fait ou pas du tout ; Mme Krauss le rend, et c’est le plus qu’on puisse dire.

Chaque nouveau rôle abordé par M. Jean de Reszké lui assure davantage la place qu’il mérite, et cette place est décidément la première. Lui aussi chante simplement, sans chercher les gros effets, mais, sans négliger les petits détails, la moindre note ou le moindre mot. Ce soin constant, cette intelligence déliée font qu’on suit l’artiste avec plaisir tout le long de son rôle, au lieu de l’attendre seulement à quelques passages fameux. Je ne connais pas un talent plus sympathique que celui de M. Jean de Reszké. Il a dans la voix et dans le style la chaleur et l’éclat de la jeunesse, mais d’une jeunesse sage, qui sait à point s’emporter ou se retenir. De la jeunesse encore, il a l’effusion communicative, la tendresse tour à tour rêveuse ou passionnée. Quel Otello serait un jour ce Radamès! Nous voulons croire qu’il le sera. Les œuvres écrites avec le cœur veulent être chantées de même.

L’orchestre de l’Opéra avait le tort jadis de presser les mouvemens; il s’est trop corrigé. De quel train il a mené Aïda! Le prélude seul a