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nous procure un plaisir encore, difficile à définir, mais non pas impossible, un plaisir rare et nouveau, plaisir d’espèce unique, qui est le plaisir littéraire. Cette distinction capitale, entre l’œuvre littéraire et celle qui ne l’est pas, cette distinction sans laquelle, selon le mot célèbre, tout est encore dans l’imperfection de ce qui commence, ou déjà dans la corruption de ce qui finit, c’est à l’Académie française, autant qu’il soit en elle, de la maintenir et de la perpétuer. Peut-être même, en y regardant bien, pourrait-on soutenir et démontrer que l’académie de Richelieu, non plus que celle des derniers Valois, n’a été créée ou inventée pour autre chose. Et c’est encore pourquoi, à dater du XVIe siècle, l’Histoire littéraire de la France, ayant cessé d’appartenir à l’Académie des inscriptions, ne saurait être continuée que par l’Académie française.

De ce choix même résultera sans doute une disposition toute nouvelle de l’ouvrage, moins savante peut-être, moins érudite, plus littéraire. Les articles y seront proportionnés à l’importance des hommes et des œuvres dans l’histoire des idées ou de l’art ; parce qu’un homme aura beaucoup écrit, il n’usurpera pas dans l’Histoire littéraire la place de ceux qui ont moins écrit, mais mieux ; et les Raymond Lulle du XVIe ou du XVIIe siècle n’y rempliront pas des volumes presque entiers. Mais on voudra surtout que cette histoire soit une histoire, qu’elle en ait le mouvement et le cours, que la continuité de son progrès imite la succession des événemens et des œuvres ; qu’est-ce en effet qu’une histoire qui ne se suit pas, qui ne marche pas, qui ne vit point ? l’Académie des inscriptions n’a pas de ces scrupules, et peut-être, en y réfléchissant, qu’elle aurait tort de les avoir. Instituée jadis pour composer des devises, et pour fournir à Quinault des sujets d’opéra, tirés de la fable ou de l’histoire, l’Académie des Inscriptions fait aujourd’hui des recueils, — Recueil des inscriptions sémitiques, Recueil des historiens des croisades, Recueil des historiens de la France, — elle amasse des matériaux, elle les dégrossit, elle ne les met pas, elle n’a pas à les mettre en œuvre. Est-ce pourquoi, dans l’Histoire littéraire, et notamment depuis quelques années, on ne voit plus très bien quel plan suivent les rédacteurs, ni même s’ils en suivent un ? Mais c’est aussi pourquoi, tout au rebours de l’Académie française, qui n’achèvera jamais son Dictionnaire historique, on peut prévoir le temps où l’Académie des inscriptions renoncera d’elle-même à continuer plus loin l’Histoire littéraire de la France. Car, la manière dont le Dictionnaire historique est engagé l’éloigné, à mesure qu’il avance, de ce que devrait être un Dictionnaire historique ; mais tel est le plan de l’Histoire littéraire, si vaste et si étendu, qu’il ne sera plus, quand on approchera du XVIe siècle, un jour ou l’autre, que l’absence même de plan.

Oserai-je ajouter, enfin, que si quelques-uns des plus rares écrivains