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il faut compter au premier rang une Bibliographie des écrivains du XVIIe siècle. Mais, pour le XVIe, trente volumes ne suffiraient pas à en épuiser les richesses, ni surtout le fatras, si l’on commettait par hasard l’imprudence d’y vouloir être complet. Il faudra donc choisir? et comment choisira-t-on? d’après quels principes ou quelles règles? C’est ce que l’Académie des Inscriptions n’est pas faite pour décider; c’est même ce qu’il serait dangereux de lui laisser décider, car, n’ayant pour mission que de déterminer la valeur ou l’intérêt historique des œuvres, elle est devenue, et elle le prouve assez chaque jour, comme indifférente à leur valeur littéraire; et c’est au contraire ce qui rentre, ainsi que nous le disions tout à l’heure, dans la compétence naturelle de l’Académie française.

Je ne demande au lecteur que d’y vouloir bien réfléchir un instant. Que signifie la distinction que l’on faisait jadis, et à laquelle il faudra bien, bon gré malgré, que l’on en revienne, entre l’histoire littéraire d’une langue et l’histoire de sa littérature? Ceci, tout simplement : qu’à une certaine époque, et comme à un signal donné, le sentiment de l’art, absent jusqu’alors des œuvres, s’y insinue, s’y mêle pour la première fois, elles transforme. On écrivait sans art, comme Comynes et comme Marguerite; et tout d’un coup, voici que l’on écrit avec art, comme Rabelais. On écrivait en vers avec son naturel, comme Marot et comme Saint-Gelais; la poésie n’était jusqu’alors qu’un jeu, qu’un divertissement, comme la musique, ou la danse, ou l’amour; et, tout d’un coup, voici qu’avec Ronsard, la poésie devient son propre but à elle-même, son principe et sa fin. Sur cette indication, suivez l’histoire de la prose française : Montaigne, Pascal, Bossuet, Voltaire, Montesquieu, Buffon, Rousseau, Chateaubriand, que font-ils, que de conquérir à l’art d’écrire une province qui jusqu’alors lui avait échappé : la théologie, le droit, l’économie politique, la science? Dans l’histoire de toutes les langues, l’histoire de la littérature commence avec l’histoire de l’art; et l’histoire de l’art d’écrire, c’est celle des victoires du talent sur l’érudition. Chez nous, c’est au XVIe siècle que la distinction s’opère. Avant le XVIe siècle, il y a des éclairs de talent, il y en a de génie même, et, pour cette raison, dans toutes nos histoires de la littérature, il est parlé de Villon, de Comynes, de Froissart, de Thibaut de Champagne, au besoin du sire de Couci, de Joinville, de Villehardouin. Mais, à dater du XVIe siècle, et du XVIe siècle seulement, la langue devient enfin capable d’atteindre constamment au style, et non plus seulement par hasard ou par fortune. Une phrase n’est plus désormais quelque chose d’indécis et de flottant, d’amorphe, pour ainsi dire, de vague en son contour et d’inorganique en sa constitution, mais quelque chose de vivant, d’articulé, d’individuel. Et le livre à son tour, indépendamment de l’instruction ou du plaisir qu’il nous apporte,