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de la France, non moins urgente peut-être, ne ferait pas moins d’honneur à l’Académie française que l’achèvement même du Dictionnaire historique.

L’Histoire littéraire de la France, entreprise au siècle dernier par les bénédictins de la congrégation de Saint-Maur, interrompue par la révolution, et reprise par l’Académie des Inscriptions, en est maintenant au trentième volume; — Et bientôt à la fin de l’histoire du XIVe siècle. Il y aurait beaucoup à dire, et du plan que les bénédictins eux-mêmes avaient cru devoir adopter, et des additions ou corrections que leurs successeurs, tout en le suivant, ne pouvaient cependant se dispenser d’y faire. Mais les uns et les autres, ce savant dom Rivet tout d’abord, et, depuis lui, les Daunou, les Fauriel, les Paulin Paris, les Littré; — pour ne nommer que les morts, parmi lesquels j’ai mes raisons d’ailleurs de ne point mettre Victor Le Clerc; — ils ont rendu tant de services que, si leur œuvre n’est pas tout ce qu’elle pourrait être, nous avons bien le droit de le dire, mais non pas celui d’insister. Contentons-nous donc d’observer qu’à mesure que l’on avancera dans la continuation de l’ouvrage et que les défauts en apparaîtront mieux, il ne sera pas difficile seulement, mais vraiment impossible de modifier le plan primitif, et qu’il faudra que l’on prenne son parti de le remanier tout entier. La question qui se pose est précisément de savoir si l’ouvrage, en changeant d’aspect ou de forme, ne devra pas aussi changer de nature, et si ce changement, en l’enlevant à la compétence de l’Académie des inscriptions, ne le remet pas, pour vingt raisons, sous la juridiction de l’Académie française.

Car, d’abord, au lieu que l’on ne faisait point de choix parmi les auteurs ni les œuvres, il en faudra faire un désormais, et l’on a déjà commencé. Les motifs en sont évidens. Depuis tantôt un demi-siècle, année moyenne, s’il est permis d’appliquer ainsi la statistique à la littérature, il se publie deux cent cinquante ou trois cents romans. Tous ces romans auront-ils un jour leur place dans l’histoire littéraire du XIXe siècle, et la Société des gens de lettres, avec son bureau, y entrera-t-elle tout entière? Année moyenne, au XVIIIe siècle, sur les cinq ou six théâtres de Paris, il se donnait à peu près trente ou quarante pièces nouvelles: j’en ai compté quarante-cinq en 1732, l’année de Zaïre, et cinquante et une en 1735, l’année du Préjugé à la mode, qui furent pourtant deux grands succès. Est-ce que tous les auteurs de ces tragédies, et de ces comédies, et de ces opéras comiques, et de ces parodies, — qui d’ailleurs valent bien nos anciens Fabliaux, — auront une notice dans l’histoire littéraire du XVIIIe siècle? Je ne dis rien du XVIIe siècle : entre autres ouvrages dont on manque, et que personne, pour cette raison sans doute, ne semble songer à nous donner,