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siège apostolique serait à la merci des accidens, que Léon XIII en serait réduit à répéter le mot de Bossuet : « Dieu a voulu que cette église, mère commune de tous les royaumes, ne fût dépendante d’aucun état dans les choses temporelles. » Il souhaite que, pour prévenir ce malheur, la papauté se réconcilie franchement avec son sort et avec le souverain qui habite le Quirinal, sans exiger autre chose que la révision de quelques articles de loi. Cette réconciliation aurait, suivant lui, les plus heureux effets; du jour où le pape et le roi s’entendraient, le parti conservateur acquerrait plus de consistance et la force de tenir en échec « un grossier jacobinisme, qui menace de tout renverser. »

Le pape Léon XIII a trompé l’attente de M. Cesare. Il l’accuse d’avoir pratiqué avec trop de constance la politique de son principal électeur, d’être conciliant avec tout le monde, sauf avec l’Italie, de n’avoir de complaisances que pour les puissans de la terre qui affectent de s’apitoyer sur la perte de son patrimoine et promettent de lui en rendre un morceau. Que doit-il penser d’une brochure qui fait quelque bruit à Rome et qu’on attribue à l’un des prélats de l’entourage du saint-père[1]? l’auteur anonyme reproche à Léon XIII de faire trop de concessions au Quirinal, de subir la fâcheuse influence « des Perugini ou de la tribu remuante et active des prêtres ombriens, qui l’ont connu à l’archevêché de Pérouse et maintenant ont envahi le Vatican. » Ces prêtres sont les champions et les avocats « du vieil esprit italien, toujours rebelle à l’ascétisme, toujours en quête des jouissances temporelles, beau diseur, mais croyant à peu de chose, faisant des vers latins, composant des homélies, plaidant agréablement la cause de la philosophie thomistique, et de temps à autre glissant dans l’oreille du vicaire du Christ des conseils perfides, qui tous n’ont qu’un but : la conciliation avec l’Italie par n’importe quels moyens. Il y a dans les caisses du trésor des millions que le pape a toujours refusés et qui vont s’accumulant. C’est le miroitement de cet or qui allume tant de convoitises. Le Christ n’a-t-il pas été vendu pour trente deniers ? »

Assailli de reproches contradictoires, Léon XIII a sans doute renoncé depuis longtemps à satisfaire tout le monde, et peut-être se résigne-t-il à ne contenter personne. Les cardinaux papables qui ne seront jamais papes devraient se consoler de leur disgrâce en pensant à sa situation pleine de difficultés, à toutes les peines qu’il se donne pour accorder des intérêts opposés, au choix embarrassant qu’il doit faire entre des amis trompeurs et des ennemis déclarés, entre des maux certains et des remèdes souvent plus dangereux que les maux. Mais rien ne console les ambitieux.


G. VALBERT.

  1. Le Pape et l’Allemagne. Rome; typographie, rue Arcione, 3, 1er mars 1887. Paris; Ghio et P. Sevin.