Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/678

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1878. Cinq cents ouvriers, maçons, menuisiers, tapissiers, travaillant nuit et jour, furent employés à fermer les passages, à préparer les cellules, à tailler dans de vastes salles des appartemens comprenant trois ou quatre pièces : l’une pour le cardinal, une autre pour son conclaviste, la troisième pour son serviteur; la quatrième servait de salle à manger et de lieu de réception. Ces appartemens furent tirés au sort, selon l’usage, et il y eut beaucoup de mécontens. Quelques-uns se trouvaient à l’étroit, d’autres, chargés d’âge ou d’embonpoint, se plaignaient d’avoir trop d’étages à gravir. Le cardinal de Falloux était le moins satisfait de son lot. « Sa cellule donnait sur la cour de la Rota, et l’une des chambres avait une mauvaise odeur. Malgré les parfums dont il faisait usage, il prétendait n’y pouvoir tenir et témoignait quelque impatience de voir finir le conclave. »

Chacun mangeait dans sa cellule; le dîner et le souper, arrosés d’un excellent vin blanc, consistaient en un potage, deux plats, un dessert, que les conclavistes séculiers allaient chercher dans des corbeilles à la cuisine commune. Le cardinal Hohenlohe avait seul demandé et obtenu la permission de faire venir ses repas du dehors. « Caractère primesautier, que n’avait pu dompter l’éducation ecclésiastique, possédant, suivant le cas, peu ou beaucoup de talent, c’était une espèce d’excentrique que les cancans et les soupçons divertissaient. » Grand seigneur plus que prélat, plus gibelin que guelfe, il passait pour prendre moins à cœur la dignité du saint-siège que les intérêts de l’empire allemand, et pour écrire trop souvent à M. de Bismarck. Dans une assemblée unanimement hostile à l’Allemagne, ses propos et ses actes étaient aigrement commentés. On lui en voulait de faire apporter ses dîners de son palais. Les uns disaient que le menu du conclave semblait trop simple à ce gourmand, d’autres, qu’il avait peur d’être empoisonné, mais personne n’en croyait rien. Le cardinal Hohenlohe aimait qu’on s’occupât de lui, il lui plaisait de se distinguer des autres et d’étonner son prochain.

Jadis, à la mort d’un pape, Rome semblait prise d’ivresse et d’une folie furieuse. Un interrègne, comme on l’a dit, était « le carnaval de la canaille. » Le pape Paul III ayant demandé à fra Bacio quelle était la plus belle fête de Rome, il répondit : « c’est la fête qui se célèbre à la mort d’un pape et à l’élection de son successeur. » — « Les prisons s’ouvraient, lit-on dans une lettre d’un secrétaire du cardinal de Trani, qui vit mourir Paul III, les sbires disparaissaient et les geôliers se cachaient. On ne voyait plus dans les rues que piques, pertuisanes et arquebuses... Il n’existe alors ni tribunal, ni rote, ni chancellerie; les avocats, procureurs et greffiers se promènent les mains dans les poches, et tout le monde prend sa part de ce temps de folie... En fait, Rome pourrait être parcourue aujourd’hui à bracche calate, et, pour mon compte, pendant les quinze années charmantes que j’y ai passées,