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de poudre appartenant à l’état. On m’assure que les soutes sont aménagées de la même manière que celles des navires de guerre ; que les mêmes précautions sont prises, et que, sous ce rapport, il n’y a absolument aucune différence entre les paquebots et les bâtimens de l’état. Cela est possible ou plutôt, vu l’autorité incontestable des personnes qui l’affirment, cela est certain ; mais cela est vrai seulement en ce qui concerne la construction des soutes, la disposition des tuyaux, des pompes, des robinets, etc. Il y a un point sur lequel l’assimilation des navires de l’état et des compagnies me semble impossible à réaliser. Ceux-là n’embarquent que des hommes placés tous, des officiers jusqu’au dernier mousse, sous le régime d’une sévère discipline. Les passagers transportés par les paquebots ne savent pas même ce que c’est que la discipline. On a toutes les peines du monde à les empêcher de fumer dans leurs cabines, ou d’obtenir d’eux qu’ils se retirent à l’heure du couvre-feu. Il y a, d’ailleurs, voyageurs et voyageurs. Telles lignes, comme celles de New-York, si le bâtiment n’est pas encombré d’émigrans, et de r Indo-Chine, sont fréquentées de préférence par des personnes appartenant aux classes élevées ou aisées ; d’autres, comme celles du Brésil, du Rio de la Plata, de l’Amérique centrale, par des émigrans italiens, espagnols, basques, auxquels viennent se mêler des naufragés de la vie de toutes les nations que les travaux du canal de Panama attirent comme une dernière ressource[1]. On conçoit que, dans des momens critiques, il soit plus facile de faire entendre raison à des personnes bien élevées qu’à des gens dépourvus d’instruction, affolés par la peur, instigués peut-être par des hommes sans aveu, surtout quand il y a, comme c’est le plus souvent le cas, une grande disproportion numérique entre l’équipage, ordinairement réduit au strict nécessaire, et les voyageurs de troisième catégorie et de l’entrepont. Envisagée à ce point de vue, l’assimilation des bâtimens de guerre et les paquebots est illusoire.

Qu’il me soit permis de citer ici deux faits qui, autant que je sache, n’ont été racontés par aucun journal et dont je puis garantir l’authenticité. Trois ou quatre jours après l’arrivée de notre paquebot à Fort-de-France, en remuant les décombres, on vit jaillir des flammes, malgré la grande quantité d’eau qui s’y trouvait encore! Le transport de la poudre, du bâtiment au fort, s’effectua plus tard

  1. Je n’ai pas besoin de faire observer que je ne place pas dans cette catégorie les ingénieurs auxquels ces travaux gigantesques servent de haute école et d’étape à des carrières brillantes en Europe, ni les nombreux ouvriers honnêtes qui n’ont pu trouver de travail chez eux ou dans d’autres pays dont le climat soit moins meurtrier que celui de l’isthme.