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LE PROCES
DE
LALLY-TOLLENDAL


I.

Peu d’hommes ont fourni une carrière plus fertile en contrastes et en événemens dramatiques que celle de Lally-Tollendal. Peu de soldats ont parcouru plus brillamment les diverses étapes de la vie militaire; aucun général n’a eu une fin plus triste. De son vivant, si ses services lui valurent quelque estime, ses fautes soulevèrent le tourbillon de colères et de haines qui l’emporta sur l’échafaud. Son procès et sa mort furent le signal d’une réaction en sa faveur; aujourd’hui il a encore des partisans et des détracteurs. Pour les uns, Lally-Tollendal est un grand homme ; pour les autres, c’est un traître. La vérité est qu’il ne fut ni l’un ni l’autre.

Lally n’eut pas l’esprit politique et ne fut rien moins qu’un diplomate. C’est un tempérament de soldat, un caractère tout de fougue et de passion ; il ne sait ni séduire ni caresser ; un ton impérieux, des manières cassantes, un sourire sarcastique, des mots qui cinglent l’homme visé comme d’un coup de fouet en emportant le morceau: des colères froides, un orgueil incomparable, une morgue et une hauteur à se faire détester de l’univers ; enfin ombrageux, défiant, porté par nature à rechercher toujours une arrière-pensée chez celui qui lui parle. De l’intelligence, il en a; mais c’est un esprit absolu, étroit, entêté jusqu’à se casser la tête sur un fait. Il part volontiers d’un principe faux; et, de déduction en déduction, va jusqu’au bout, emporté par ses facultés d’imagination,