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afin qu’il puisse épouser sa beauté. Nous sommes devenus durs pour les grands de la terre. Non-seulement notre temps ne les plaint plus, mais il s’imagine qu’ils ne souffrent pas comme nous tous et qu’un cœur de princesse, parce qu’il apprend à se taire, n’est pas un cœur de femme. Il me semble que l’histoire de la princesse Wilhelmine devrait désarmer les plus prévenus.

A peine sortie des langes, son histoire se confond avec l’histoire des mariages que ses parens ne cessèrent de faire et de défaire pour elle, et où il entrait toutes les considérations, excepté ses goûts et le souci de son bonheur. Il serait injuste d’accuser en ceci Frédéric-Guillaume et la reine Sophie-Dorothée. L’un et l’autre remplissaient leurs fonctions de souverains, qui ne leur laissaient pas le choix. Ils en rendaient seulement l’accomplissement plus cruel qu’il n’était nécessaire, par l’humeur fantasque du roi et la conduite indiscrète de la reine. L’établissement de leur fille aînée fut pour tous deux, que l’on me passe cette expression, le champ clos où ils se mesuraient. Chacun luttait pour son prétendant, la reine par des intrigues souterraines, le roi à grands coups de boutoir, et il n’y avait aucune chance qu’ils arrivassent à une entente : ils entraient dans la lice avec des idées trop différentes. La reine, toute morgue et ambition, cherchait avec opiniâtreté une grande alliance. Le roi, sans être insensible aux avantages d’un mariage politique, était surtout préoccupé d’établir ses six filles au moins de frais possible. La princesse Wilhelmine, menacée par chacun d’eux de châtimens terribles si elle obéissait à l’autre, vouée aux rebuffades quelque parti qu’elle embrassât, voyait sa main promise tour à tour, quand ce n’était pas en même temps, au nord et au sud, à l’est et à l’ouest, et courbait la tête en plaignant son dur destin. Elle comprenait qu’il était inéluctable et elle ne pouvait se résigner.


IV.

Son premier fiancé fut son cousin germain le prince de Galles[1]. Elle avait quatre ans, il en avait six. Il lui envoyait des présens, et la reine Sophie-Dorothée s’épanouissait de bonheur, car le mariage anglais était son rêve, à elle, et son œuvre. Elle l’avait ménagé, elle y tenait par toutes les fibres de son orgueil, et elle le raccommoda dix-huit ans de suite, avec une opiniâtreté que rien

  1. Ou plutôt, pour être tout à fait exact, le duc de Glocester, qui devint prince de Galles en 1727, à la mort de son grand-père George Ier.