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une certaine ardeur et mit tout son cœur à obtenir du jury une déclaration de circonstances atténuantes qui, heureusement peut-être, lui fut refusée. Comme, après l’arrêt de la cour, il allait faire une dernière visite à ce malheureux, auquel il n’avait pu s’empêcher de prendre un certain intérêt, au moment de le quitter et en lui disant adieu, il lui tendit la main. Cette grossière nature fut émue; les larmes lui vinrent aux yeux, et il s’écria : «Ah! monsieur, vous me donnez la main comme si j’étais un honnête homme. » Ainsi, il avait suffi d’un traitement auquel ce malfaiteur endurci n’était pas accoutumé pour réveiller en lui les deux sentimens les meilleurs qui soient dans le cœur humain : l’humilité et la reconnaissance. Qu’est-il devenu? Je l’ignore, mais je puis ajouter qu’après bien des années écoulées, de la région lointaine où il subissait sa peine, il écrivait encore à celui dont un geste, en quelque sorte machinal, avait cependant touché son cœur. Et cependant Lombroso n’eût pas hésité à le ranger dans la catégorie des criminels-nés, car il avait, autant que je puis me rappeler, l’aspect lourd, le crâne large, le front étroit et les oreilles écartées de la tête. Un directeur de prison expérimenté l’eût également classé du premier coup parmi les récidivistes incorrigibles. Mais il n’y a pas d’homme incorrigible, pas plus qu’il n’y a d’homme impeccable, et nul ne sait, jusqu’à sa dernière heure, quelle forme est capable de recevoir le mélange d’esprit et de boue (pour parler comme Pascal) dont il est pétri. Aussi tous les êtres faits de ce mélange sont-ils tenus les uns vis-à-vis des autres à la charité, et ceux-là surtout y ont droit qui, n’ayant point reçu leur part de nos lumières ni de nos plaisirs, ont respiré dès leur enfance une atmosphère morale absolument différente de la nôtre, et passent leur vie entière dans des conditions de misère et de tentations dont nous ne nous faisons aucune idée. N’est-ce pas à eux que s’adresse cette parole d’une douceur et d’une espérance infinie qu’au milieu de tant de sentences sévères l’inspiration divine a mise sur les lèvres du Psalmiste : « Le Seigneur sauvera les âmes des pauvres. » Le grand principe de la charité, que nous avons déjà rencontré comme le principal remède à la misère, doit donc intervenir aussi dans la répression, non pas pour l’affaiblir et l’énerver, mais pour y introduire ce souci des âmes. Quelle part est faite à la charité, ainsi entendue, dans la répression? C’est ce que je voudrais rechercher dans une prochaine et dernière étude.


HAUSSONVILLE.