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4 pour 100. Faut-il attribuer ce faible nombres des accusés vraiment lettrés à ce que M. Tarde appelle « l’influence bonifiante » de la haute culture intellectuelle? Sans doute, cette haute culture contribue à élever l’esprit, à raffiner les mœurs, à entretenir le goût de l’idéal. Mais ne faut-il par tenir compte aussi de ce fait que l’instruction supérieure va généralement de pair, à de rares exceptions près, avec une certaine aisance, et n’est-ce pas cette aisance qui protège contre bon nombre de tentations vulgaires autant, sinon plus efficacement, que l’instruction elle-même? Pour aller jusqu’au bout de ma pensée, je dirai que, si on exagérait encore le nombre, déjà grand, des boursiers dans les institutions de l’état, et surtout si on réalisait cette chimère de l’éducation intégrale et gratuite qui est le rêve de certains esprits, on verrait assez rapidement se produire une classe de criminels lettrés, qui ferait bientôt parler d’elle, et qu’on ne tarderait pas à perdre quelques illusions sur l’action bonifiante de l’instruction supérieure. Je ne voudrais pas insister sur ce fait que la proportion des accusés ayant reçu une instruction supérieure n’était que de 2 pour 100 au commencement du siècle, tandis qu’elle est de 4 pour 100 aujourd’hui. Mais il y a là cependant un symptôme qui n’est pas à négliger.

Il semble qu’en proclamant l’influence de la condition sociale sur la criminalité nous soyons conduits à mettre la civilisation hors de cause et à l’exonérer de toute part de responsabilité dans les infractions si nombreuses qui ont la misère pour origine. On ne saurait cependant aller jusque-là, et il faut reconnaître que la civilisation intervient encore pour jouer un assez singulier rôle : celui d’aggraver la condition des malheureux. Au fur et à mesure, en effet, qu’une société se coordonne et se régularise, elle devient de plus en plus exigeante vis-à-vis. de ceux qui la composent, et elle s’obstine à les faire entrer, de gré ou de force, dans ses cadres, considérant, non sans raison du reste, que ceux qui se tiennent en dehors sont devenus un danger pour elle. Aussi en arrive-t-elle, par mesure de défense personnelle, à ériger en délits des faits qui par eux-mêmes ne sont pas contraires à la morale, et qui, dans un autre état social, n’auraient rien de répréhensible. N’avoir ni profession ni domicile habituel, ou demander son pain par les chemins, lorsqu’on n’a pas de quoi en acheter, ne constituent pas des actes coupables par leur essence. Mais le code en a fait les délits de vagabondage et de mendicité, et de ce chef 26,000 condamnations environ sont prononcées tous les ans contre des individus dont le plus grand nombre, assurément, ne vagabonderaient ni ne mendieraient s’ils avaient des rentes. Au point de vue de la sécurité sociale, cela est peut-être bien entendu, mais pour que la légitimité de ces condamnations ne pût