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outrages aux fonctionnaires, rébellion, ruptures de ban, outrages publics à la pudeur, et, en s’élevant plus haut dans l’échelle de la criminalité: attentats aux mœurs, infanticides. Ces délits et ces crimes sont, après tout et en dépit de toutes les déclamations contraires, infiniment rares dans les classes aisées. Cela tient-il à ce que la moralité des classes aisées est supérieure? Oui, sans doute; mais cette supériorité tient à ce qu’elles naissent, grandissent et vivent à l’abri d’une foule de tentations. Il faut donc avoir le courage de reconnaître que le plus puissant mobile de la criminalité est encore la misère. « Chez le malheureux, disait Proudhon dans son langage énergique, le paupérisme se manifeste par la faim lente dont a parlé Fourier, faim de tous les instans, de toute l’année, de toute la vie; faim qui ne tue pas en un jour, mais qui se compose de toutes les privations et de tous les regrets, qui sans cesse mine le corps, délabre l’esprit, démoralise la conscience, abâtardit les races, engendre toutes les maladies et tous les vices, l’ivrognerie entre autres et l’envie, le dégoût du travail et de l’épargne, la bassesse d’âme, l’indélicatesse des consciences, la grossièreté des mœurs, la paresse, la gueuserie, la prostitution et le vol. » Il n’est pas une seule de ces lignes amères qui ne soit d’une triste vérité, et c’est par là que ces considérations sur la criminalité ne sont qu’une des faces du problème social de la misère. L’inexorable statistique est là qui ne permet d’entretenir à ce sujet aucune illusion. L’influence de la misère sur la criminalité y est écrite en gros chiffres. Les années qui ont marqué dans l’histoire économique de notre pays comme des années de disette ont toujours été signalées par une recrudescence des délits contre les propriétés. « A diverses époques, dit M. Yvernès dans son rapport, la rareté des subsistances, compliquée d’une crise industrielle. a plongé dans la misère et conduit au vol une quantité de malheureux ouvriers. » Pour que cette recrudescence se produise, il n’est même pas nécessaire qu’il y ait, à proprement parler, disette. Il y a une trentaine d’années, alors que le prix du pain était encore sujet à de brusques variations dont on a aujourd’hui perdu le souvenir, le directeur de l’administration pénitentiaire, M. Dupuy, avait dressé un tableau comparatif où, d’une part, l’élévation et l’abaissement du prix du pain, d’autre part, l’élévation ou l’abaissement du nombre des poursuites pour vol, étaient figurés par deux courbes. Ces deux courbes offraient les mêmes inflexions et se confondaient presque l’une avec l’autre.

La même démonstration peut être faite par une considération d’une autre nature. Nous avons vu tout à l’heure que l’influence de l’instruction élémentaire sur la criminalité est nulle. Il paraît n’en être pas de même de l’instruction supérieure. Le nombre des accusés ayant reçu une instruction supérieure n’est guère en moyenne que de