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à ce propos, que certains besoins semblent surexcités par leur satisfaction même. Mais ce n’est pas non plus faire fausse route que d’attribuer l’augmentation particulièrement rapide de ces dernières années à la diffusion par la voie de la presse populaire de la littérature sensuelle qui nous envahit de plus en plus et dont les peintures semblent faites pour allumer les imaginations grossières. Puisque lu liberté de la presse est considérée comme un des bienfaits de la civilisation, encore est-il juste qu’elle porte un peu la responsabilité de ses bienfaits.

Parmi les vices qui sont les mobiles déterminans de la criminalité, il en est un auquel on peut rapporter un grand nombre d’infractions : c’est la cupidité. A la cupidité il faut attribuer la plupart des crimes et des délits ayant pour objet d’enrichir illicitement ceux qui les commettent ; les faux, les banqueroutes frauduleuses, les abus de confiance, les escroqueries et les vols, bien qu’une partie de ces infractions, en particulier les vols, puisse être expliquée par les besoins. Mais la cupidité joue aussi son rôle comme mobile déterminant de certains crimes contre les personnes, et ce rôle paraît même plus considérable que par le passé. Au commencement du siècle, sur cent assassinats on en comptait treize qui avaient l’amour pour mobile et treize également la cupidité. Aujourd’hui, l’amour n’est plus que huit fois le mobile et la cupidité vingt-deux fois. Quant aux autres infractions que je viens d’énumérer et que la statistique judiciaire classe sous la rubrique de crimes et délits contre les propriétés, il est curieux d’étudier comment elles se répartissent dans les différentes régions de la France. Cette répartition est à peu près analogue à celle des crimes contre les mœurs[1]. Les départemens où l’on compte le moins de crimes contre les propriétés sont généralement les départemens les plus montagneux, les plus pauvres, ceux où la population vit de la vie la plus simple : Creuse, Corrèze, Corse, Haute-Loire, Lozère, Hautes et Basses-Alpes, Savoie, etc... Au contraire, ceux où les crimes contre les propriétés sont les plus nombreux sont ceux où la richesse, le luxe, l’aisance, sont le plus répandus : Seine, Seine-Inférieure, Rhône, Gironde, Bouches-du-Rhône, Nord, Aisne, Marne, etc.. Il n’est pas douteux que dans ces départemens la diffusion et l’étalage de la richesse ne développent chez ceux qui trouvent leur part trop petite le désir de l’accroître, et ne soumettent à une tentation trop forte ceux qui en sont totalement déshérités. Mais cette diffusion de la richesse et cet étalage du luxe marchent précisément de pair avec les progrès de la civilisation. Il est donc bien difficile de rendre

  1. La statistique ne donne ces renseignemens que pour les crimes, mais nul doute que la répartition ne soit la même pour les délits.