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C’est un axiome plus vrai que beaucoup d’axiomes que la civilisation adoucit les mœurs. Il est certain, en effet, que plus une société s’éloigne de l’état barbare et primitif, plus les actes violens y deviennent rares. Ce que les caractères perdent peut-être en énergie, du moins ils le gagnent en douceur. Le sens de la pitié collective pour les souffrances humaines, inconnu aux peuplades sauvages, a été en grandissant dans l’histoire des peuples civilisés. Ce sentiment fait l’honneur de notre temps. Le respect de la vie humaine y est en particulier infiniment plus grand qu’il n’était même au siècle dernier. On devrait donc pouvoir compter que les progrès de la civilisation diminuent le nombre des attentats contre les personnes. Or en est-il ainsi ? Pas tout à fait malheureusement. Nous avons vu, en effet, que depuis le commencement du siècle, si le nombre des assassinats est demeuré stationnaire, celui des meurtres a augmenté, mais dans une proportion moindre, il est vrai, que d’autres infractions. Comme, d’un autre côté, la population a augmenté également, et comme dans l’accroissement du nombre des meurtres l’élément étranger joue un certain rôle, peut-être pourrait-on aller jusqu’à dire qu’au point de vue de la criminalité française, le nombre des crimes violens contre les personnes est demeuré sensiblement le même. En présence de l’augmentation considérable de toutes les autres catégories de crimes, c’est là un résultat assez remarquable, et je ne demande pas mieux que d’en faire honneur à la civilisation. Il faut bien lui laisser quelque chose, car force est de constater que son influence ne paraît nullement s’exercer sur les crimes qui ont pour objet la satisfaction des sens : tout au contraire. Le nombre des crimes contre les mœurs a triplé, et l’augmentation la plus forte porte sur le plus odieux de tous : les attentats sur les enfans. Ici les raffinemens de la civilisation paraissent avoir surexcité les passions au lieu de les adoucir. Cela résulte de ce fait très remarquable que les attentats de cette nature sont relativement très rares dans les régions agricoles, pauvres, montagneuses, où les habitans vivent éloignés les uns des autres, dans des conditions de grande simplicité de vie. Au contraire, ils sont très fréquens dans les régions qui comptent de grands centres de population, où les relations entre les sexes sont plus habituelles et où toutes les facilités sont offertes à la débauche. Le maximum de ces délits se produit à Paris. La même observation s’applique aux autres infractions contre les mœurs, outrages publics à la pudeur, adultères, etc., dont le nombre a augmenté d’une façon très sensible. Il n’est pas aisé de fournir une explication topique de cette augmentation, qui a été continue depuis le commencement du siècle. La meilleure est peut-être les facilités mêmes que les grandes villes, où se produit surtout cette augmentation, offrent à la débauche. M. Tarde dit avec raison,