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des hordes de cavaliers, qui par les défilés des Isser, qui par la gorge de l’Harrach, qui par les ravins du Bou-Roumi et de l’Oued-Djer, s’abattirent sur la plaine et, comme autant de trombes, y portèrent la dévastation et la mort. Tous les établissemens européens, toutes les plantations, toutes les cultures, furent anéantis ; heureux les colons qui purent sauver leurs têtes ! Dans le Sahel même, on ne se croyait plus en sûreté : dans Alger même, on était en crainte. Le lendemain, ce fut encore pis. Un détachement sorti du camp d’Oued-el-Alleg au-devant de la correspondance de Blida, fut détruit tout entier avec les renforts que le commandant du camp avait amenés à son aide, et les quinze cents Arabes exécuteurs de ce carnage portèrent victorieusement au khalifa de Miliana cent huit têtes françaises.

Quand Abd-el-Kader avait reçu, le 31 octobre, à Takdemt, les nouvelles des Biban : « Louanges à Dieu ! s’était-il écrié ; l’infidèle s’est chargé de rompre la paix ; à nous de lui montrer que nous ne craignons pas la guerre ! » Le lendemain, il avait pris le chemin de Médéa, envoyant partout ses ordres pour la prise d’armes universelle. Le 20 novembre était la date arrêtée par lui ; si les Hadjoutes avaient devancé l’heure, c’était le fait de leur particulière impatience. Le 18 novembre, l’émir adressait au maréchal Valée sa déclaration et son cartel : « Je t’ai déjà écrit que tous les Arabes sont d’accord pour faire la guerre sainte. J’ai employé tous mes efforts pour changer leur idée ; mais personne n’a voulu la durée de la paix, et je suis obligé de les écouter pour être fidèle à notre sainte loi. Ainsi je me conduis loyalement avec toi, et je t’avertis de ce qui est. Renvoie mon oukil d’Oran et tiens-toi prêt ; car, s’il arrive quelque chose, je ne veux pas être accusé de trahison. Je suis pur, et jamais il ne se fera par moi rien de contraire à la droiture de notre loi. Le roi, lorsque je lui ai écrit, m’a fait répondre que toutes les affaires étaient chez toi, soit de paix, soit de guerre. Tiens-toi pour averti ; avec tous les croyans, je choisis la guerre. »

Oui, c’était fait du traité de la Tafna ; c’était la guerre. Le maréchal Valée, qui, par le passage des Biban, l’avait rendue inévitable, le maréchal Valée qui devait s’y attendre, qui s’y attendait si bien que, dès le 15 octobre, il avait rappelé de Mascara le capitaine Daumas, son chargé d’affaires, le maréchal Valée s’était pourtant laissé surprendre. La dévastation de la Métidja, qui faisait tort à sa vigilance, n’était pas davantage à l’honneur de ses conceptions militaires.


Camille Rousset.