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chez les infidèles; mais ceux qui ont fait la conquête d’Alger ne ressemblent en rien à leurs ancêtres. J’entends dire que quelques-uns ne reconnaissent pas de Dieu ; en effet, ils n’ont construit aucune église, et les ministres de leur religion sont peu respectés par eux-mêmes. Ils ne prient jamais. Dieu les abandonnera, puisqu’ils l’abandonnent. » Le fait est que, jusqu’en 1838, les secours de la religion catholique n’étaient donnés, en Algérie, que par un petit nombre d’anciens aumôniers de régiment dont l’autorité morale ou intellectuelle n’était pas toujours suffisante. En dehors d’Alger même, la célébration du culte n’était à peu près régulière qu’à Koubba, Douera et Boufarik ; il était urgent qu’il en fût de même à Oran, à Mostaganem, à Bougie, à Philippeville, à Bône, à Constantine. Par un accord intervenu entre le gouvernement français et la cour de Rome, Alger fut pourvu d’un siège épiscopal dont le premier titulaire fut un prêtre du diocèse de Bordeaux, l’abbé Dupuch. Le nouvel évêque prit possession de son église le 31 décembre 1838. Son premier soin fut de visiter la plus grande partie de son vaste diocèse, la province de Constantine particulièrement, et d’installer dans les paroisses qu’il put fonder des prêtres respectables. En 1839, à l’occasion de la Fête-Dieu, la procession, sortie de la cathédrale, parcourut solennellement les principales rues d’Alger, au milieu des témoignages de respect, non-seulement des catholiques, mais des musulmans eux-mêmes. Il leur plaisait de voir enfin que leurs vainqueurs avaient un culte.


VIII.

De Mascara, de Miliana ou de Takdemt, Abd-el-Kader, très bien renseigné sur le compte des Français, observait avec attention tout ce qui se passait chez eux depuis Oran jusqu’à Constantine. Son autorité, un moment ébranlée pendant le long siège d’Aïn-Madhi, avait été promptement raffermie par sa main puissante. Ses khalifas pressaient la rentrée des impôts et l’enrôlement des réguliers ; les cadres des bataillons d’askers et des escadrons de khiélas se remplissaient de recrues, pendant que les sacs de boudjous s’amoncelaient dans les coffres du trésor. Des ateliers s’ouvraient dans les établissemens nouveaux de Saïda et de Taza; des fusils, des barils de poudre, du soufre, du plomb, du fer, envoyés de Gibraltar et de Tanger, arrivaient en longs convois des frontières du Maroc à Tlemcen.

Le 3 juillet, devant une assemblée des khalifas, des caïds et des grands, réunie à Taza et semblable à celle qui s’était tenue à Boukorchefa cinq mois auparavant, un des officiers du sultan-chérif, envoyé solennellement de Fez, revêtit d’un kafetan d’honneur