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quel démenti au système de la zone littorale, de l’occupation restreinte! M. Molé n’en prenait pas volontiers son parti; la pensée d’une transaction avec Ahmed continua de le hanter longtemps encore; elle le hanta sept mois entiers, jusqu’au jour où l’opinion contraire se prononça dans la chambre des députés et dans le public avec une telle force que le président du conseil fut obligé de s’y conformer, sinon de s’y convertir. C’était le 6 juin 1838 ; l’intendant civil de l’Algérie, M. Bresson, peu confiant dans la durée du traité de la Tafna, venait de dire qu’après tout, le principe en étant bon, il y faudrait revenir, en établissant à l’intérieur des pouvoirs indigènes soumis à l’influence française, Ahmed, par exemple, à Constantine ou à Médéa. Sur ces derniers mots éclata un orage ; il fallut, pour l’apaiser, que M. Molé montât à la tribune et désavouât l’orateur, qui lui avait paru, — c’est son expression, — « déroger quelquefois à sa prudence ordinaire. »

Le maréchal Valée n’était assurément pas d’avis de restaurer Ahmed dans Constantine ; mais il pensait que la province était trop étendue pour être administrée directement par l’autorité française. « Les tribus, écrivait-il au ministre de la guerre, le 5 janvier 1838, se livreront pendant quelque temps à l’anarchie, puis se soumettront à un chef indigène, et nous aurons devant nous un nouvel ennemi qu’il faudra renverser; c’est ce qui est arrivé dans la province d’Oran. Que la leçon nous soit profitable! Le gouvernement du roi reconnaîtra, je n’en doute pas, la nécessité de placer dans la province de Constantine un chef qui relève de la France, afin de prévenir, s’il en est temps encore, l’influence que pourrait y prendre l’émir. » L’ambition d’Abd-el-Kader s’étendait en effet jusque-là: dès la chute d’Ahmed, il avait fait exciter les populations par ses émissaires à la fois contre le vaincu et contre le vainqueur. Après s’être tenu quelque temps caché dans le Djebel-Aurès, Ahmed y avait recruté des bandes à la tête desquelles il s’était porté contre Farhat-ben-Saïd et lui avait enlevé l’oasis de Biskra. Délaissé par le général de Négrier, à qui le maréchal n’avait pas permis de le secourir, le Cheikh-el-Arab fut réduit à solliciter le secours d’Abd-el-Kader. Quelle occasion pour l’émir de propager jusque dans le Zab oriental la renommée de sa puissance ! Par ses ordres, Barkani, son khalifa de Médéa, marcha contre Ahmed et lui reprit Biskra, mais au lieu d’y rétablir l’autorité de Farhat, il y installa un des plus zélés partisans de l’émir, le marabout Bel-Azouz; et comme Farhat s’indignait de cette conclusion déloyale, il le fit prendre et l’envoya captif à Takdemt.

La France ayant succédé, dans le beylik de Constantine, aux droits du bey, le gouverneur-général avait donné l’ordre de faire lever sur les tribus les impôts accoutumés, à savoir : l’achour, qui