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Le total des troupes réparties entre les trois provinces, qui était de quarante-deux mille hommes, allait être porté à quarante-neuf mille par des détachemens envoyés de France ; mais ce qui semblait être un renfort n’était plutôt qu’un remplacement, une substitution d’hommes valides aux trop nombreux malades dont les hôpitaux étaient combles. À Bône et dans les camps de Dréau, de Nechmeïa et de Mjez-Ahmar, il en restait encore treize cents le 20 novembre, alors qu’on en avait déjà évacué deux mille cinq cent cinquante. L’état sanitaire de la division d’Alger n’avait pas été plus satisfaisant pendant la saison chaude ; mais, aux approches de l’hiver, il était devenu un peu meilleur.

Un des soins du maréchal Valée, en prenant possession du gouvernement, avait dû être de se faire rendre compte des premières conséquences du traité de la Tafna dans la province d’Alger. Les Hadjoutes se tenaient un peu plus tranquilles ; mais les gens de Blida ne paraissaient pas disposés à passer paisiblement sous la domination française ; enfin, dans la ville d’Alger même, il y avait matière à conflit. Au mois d’octobre, Abd-el-Kader y avait nommé, à titre d’oukil ou de consul, un italien, du nom de Garavini, qui gérait déjà le consulat d’Amérique. Ce personnage, vaniteux et indiscret, affectait de dédaigner les fonctions d’agent commercial pour se hausser jusqu’à la politique. Le gouvernement français lui refusa l’exequatur. Abd-el-Kader s’en plaignit au maréchal Valée dans une lettre insolente : « Lorsque notre consul Garavini a réclamé, tu ne l’as pas écouté et tu n’as plus voulu de lui. Cette conduite dénote un caractère violent. Elle prouve que tu veux faire naître la mésintelligence entre nous. Au reste, je suis tout prêt à rompre, puisqu’on viole tous les usages, qu’on cherche à me contraindre dans ce qui regarde le bien de mon service et qu’on veut me rabaisser. Il faut écrire à ton ministre que j’entends conserver mon consul et que je n’en veux point d’autre. J’attends une prompte réponse. Nous espérions voir arriver de France un homme sage pour commander à Alger, un homme qui nous laisserait le repos et qui ferait ce qu’il serait convenable de faire ; nous avions pensé que ta manière d’agir ne serait pas celle des brouillons qui t’ont précédé ; mais, si tu marches sur les traces de ces gens-là. Dieu nous rendra victorieux de nos ennemis, de ceux qui veulent nous molester. Dieu a dit : « Que l’injustice retombe sur son auteur ! » Au reste, je ne m’écarterai pas du traité, si vous l’observez vous-mêmes. » Non-seulement Garavini ne fut pas accepté comme oukil de l’émir, mais, quelque temps après, sa conduite étant de plus en plus déplaisante, il cessa même d’être reconnu consul des États-Unis et fui invité à quitter le territoire algérien.