Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/434

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la parfaite raison, à la volonté, au contraire, il était donné d’atteindre la réalité suprême à laquelle toute autre réalité est suspendue; il en a vu le foyer dans le cœur, cherché le premier principe dans l’amour.

C’est une erreur aussi d’imaginer que le monde est apparu à Pascal comme voué au mal et à la douleur. Il a cru que la vraie science et la vraie religion, qui n’en diffère point, mettant en communication immédiate, au fond le plus reculé de l’âme, avec la divinité, faisaient participer, et dès cette vie, en attendant l’éternelle existence, à la divine félicité.

Pascal portait toujours sur lui, entre l’étoffe et la doublure de son habit, un papier écrit qu’il décousit et recousit, huit années durant, chaque fois qu’il changeait de costume. Il y attachait donc un grand prix. Cet écrit, qu’on a appelé une « amulette, » contenait le souvenir de deux heures de ravissement où il avait cru voir lui apparaître, avec un éclat surnaturel, la vérité suprême :


L’an de grâce 1654,

Lundi, 23 novembre, jour de Saint-Clément, pape et martyr et autres au martyrologe, etc., depuis environ dix heures et demie du soir jusques environ minuit et demi,

FEU.


Dieu d’Abraham, dieu d’Isaac, dieu de Jacob,
non des philosophes et des savans.
Certitude, certitude, sentiment, joie, paix.
Dieu de Jésus-Christ.
…………………..
Joie, joie, joie, pleurs de joie.
…………………..
Mon Dieu, me quitterez-vous?
Que je n’en sois pas séparé éternellement!


L’écrit que Pascal a voulu porter toujours sur lui, en témoignage inoubliable de la vision céleste, on peut l’appeler un hymne au « feu » divin, hymne passionné de foi, de tendresse et de bonheur.


F. RAVAISSON.