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fort sentiment de la vertu pressentie de tout temps par les âmes héroïques, qui est la charité. De là la conception du dévoûment volontaire de Dieu même, conception à laquelle l’antiquité fut loin d’être étrangère, mais dont elle n’offrit, comparée au christianisme, que de vagues et pâles images.

Cette conception est pour Pascal la religion tout entière. De même que le raisonnement, lorsqu’il a fait ce qu’il peut faire, que les pratiques, lorsqu’elles humilient la personnalité récalcitrante, ne peuvent encore que préparer la révélation par le cœur, de même dans le christianisme tout, jusqu’au sacrifice, n’est que préparation, figure d’une vérité unique, qui est le don que Dieu fait de soi au cœur dans la charité. Jésus-Christ n’avait-il pas dit lui-même qu’un autre viendrait après lui, un Appelé ou Invoqué, qui enseignerait enfin sans figures toute la vérité? Cet autre était l’Esprit divin, que la théologie identifie avec l’Amour. Vers cet Appelé tend tout le christianisme de Pascal. En lui il voit la parfaite et définitive vérité, en lui la paix et le bonheur.


On a représenté Pascal comme souffrant d’une incurable mélancolie, voyant tout d’un œil désolé. Pourtant il disait :. « Un chrétien est toujours heureux. » Incessamment malade, et s’acheminant, il le savait, vers une fin prématurée, il acceptait la maladie comme une grâce, et il a écrit : « j’attends la mort en paix. » Peu s’en faut qu’il n’ait dit comme saint Paul : « Je désire être dissous, sachant bien que je ne serai pas dépouillé, mais revêtu. »

Descartes, après avoir donné pour principal but à ses recherches le moyen de vivre longtemps, en vint ensuite à dire : « Au lieu de songer à prolonger la vie, j’ai pris le parti de ne pas craindre la mort. » Leibniz, qui croyait voir dans son temps des signes d’une manière de penser fausse et pernicieuse, tendant à s’établir partout, met en première ligne parmi ces signes « l’horreur de la mort. » Non-seulement Pascal n’en a pas eu l’horreur, mais il en a joui, en quelque sorte, par avance, comme d’un acheminement au souverain bien.


En résumé, celui qui a dit : « Toute la philosophie ne vaut pas une heure de peine,» le disant de cette philosophie dont « c’est,» a-t-il dit encore, « philosopher que de se moquer, » c’est une erreur que de le ranger parmi les contempteurs de l’intelligence. Nul, au contraire, n’en a mieux connu la nature et estimé plus haut la puissance. Seulement, et par là il n’a fait que s’avancer plus loin dans la voie qu’avaient tracée les plus grands des penseurs qui l’avaient précédé, il a cru que l’intelligence, séparée de la volonté, s’égarait dans le vide; il a cru qu’à la volonté, inséparable d’ailleurs et à peine discernable