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compte venger par les pires représailles, à quel excès monte son ingérence, comment il entre dans le cabinet des souverains étrangers. de force et avec effraction, pour chasser leurs conseillers et gouverner leur conseil : tel le sénat romain avec un Antiochus ou un Prusias ; tel un résident anglais auprès des rois d’Oude ou de Lahore. Chez autrui comme chez lui, il ne peut s’empêcher d’agir en maître. « l’aspiration à la domination universelle[1] est dans sa nature même ; elle peut être modifiée, contenue ; mais on ne parviendra jamais à l’étouffer. »

Dès le consulat, elle éclatait ; c’est pour cela que la paix d’Amiens n’a pu durer: à travers les discussions diplomatiques et par-delà les griefs allégués, son caractère, ses exigences, ses projets avoués et l’usage qu’il compte faire de sa force, telles sont les causes profondes et les motifs vrais de la rupture. Au fond, en termes intelligibles et souvent en paroles expresses, il dit aux Anglais : Chassez de votre île les Bourbons, et fermez la bouche à vos journalistes; si cela est contraire à votre constitution, tant pis pour elle, ou tant pis pour vous ; « il y a des principes généraux du droit des gens devant lesquels se taisent les lois (particulières) des états[2]. » Changez vos lois fondamentales : supprimez chez vous, comme j’ai supprimé chez moi, la liberté de la presse et le droit d’asile ; « j’ai une bien médiocre opinion d’un gouvernement qui n’a pas le pouvoir d’interdire des choses capables de déplaire aux gouvernemens étrangers[3].» Quant au mien, à mon intervention chez mes voisins, à mes récentes acquisitions de territoire, cela ne vous regarde pas : « Je suppose que vous voulez parler du Piémont et de la Suisse? Ce sont des bagatelles[4]... » Il est reconnu par l’Europe que la Hollande, l’Italie et la Suisse sont à la disposition de la France[5].

  1. M. de Metternich, II, 378. (Lettre à l’empereur d’Autriche, 28 juillet 1810.)
  2. Note présentée par l’ambassadeur français, Otto, 17 août 1802.
  3. Stanislas Girardin, III, 296. (Paroles du premier consul, 24 floréal an XI) : « J’avais proposé au ministère britannique, depuis plusieurs mois, de conclure un arrangement en vertu duquel on rendrait une loi, en France et en Angleterre, qui défendrait aux journaux et aux membres des autorités de parler en bien ou en mal des gouvernemens étrangers : il n’a jamais voulu y consentir. » — St. Girardin : « Il ne le pouvait pas. » — Bonaparte : « Pourquoi? » — St. Girardin : « Parce qu’une semblable convention eût été contraire aux lois fondamentales du pays. » — Bonaparte : « j’ai une bien médiocre opinion, etc. »
  4. Hansard, t. XXXVI, p. 1298 (Dépêche de lord Whitworth, 21 février 1803, conversation avec le premier consul aux Tuileries). — Seeley, A short History of Napoléon the first. Bagatelles est une expression adoucie; dans une parenthèse qui n’a jamais été imprimée, lord Whitworth ajoute : « l’expression dont il se servit était trop triviale et trop basse pour trouver place dans une dépêche et partout ailleurs, sauf dans la bouche d’un cocher de fiacre. »
  5. Lanfrey, Histoire de Napoléon, II, 482. (Paroles du premier consul aux délégués suisses, conférence du 29 janvier 1803.)