Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/417

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et Pascal semblablement, après avoir remarqué que, par l’esprit de finesse, on voit les choses tout d’un coup, d’un seul regard, et non par progrès de raisonnement : « Ce n’est pas que l’esprit ne le fasse, mais il le fait tacitement, naturellement et sans art. »

Serait-ce donc que la vue instantanée, opposée par Pascal au calcul, se réduirait, examinée de près, à une condensation rapide de calculs inaperçus? Serait-ce aussi que toute la beauté se réduirait à des combinaisons arithmétiques? On ne voit pourtant pas que, dans aucune combinaison purement numérique, il se trouve rien de vraiment esthétique. La beauté, plutôt, échappe à toute arithmétique comme à toute géométrie. Bien plus haute est sa sphère. Et si elle ne consistait qu’en des relations de quantité, comme aussi, à plus forte raison, les qualités d’ordre moins élevé, que deviendrait toute la théorie de Leibniz lui-même sur la différence radicale de la quantité et de la qualité? Que deviendrait celle qu’avait établie Pascal entre l’esprit géométrique et une autre sorte d’esprit tout à fait opposée?

Une expression de Leibniz, dans le passage même dont il s’agit, donne ouverture à une solution de la difficulté. Ce n’est pas dans les nombres mêmes qu’il y fait consister la beauté, mais dans les « convenances des nombres.» On sait que la convenance, dans toute sa philosophie, où elle est la règle suprême, est quelque chose de tout autre que les rapports mathématiques : c’est une harmonie spéciale de qualités, monde où règne, comme on l’a vu, le principe de similitude et non de contenance. Vraisemblablement il a supposé, et l’on peut supposer avec lui. qu’en certaines rencontres de nombres nous apercevons des convenances, d’ailleurs indéfinissables, qui ne ressortissent pas à l’arithmétique, que l’on saisit d’un coup, quelque multiple et successif qu’en soit le support, et qui agréent. Et pourquoi nous agréent-elles? Sans doute parce qu’elles nous offrent des images, des ressemblances de perfections intelligibles qui sont celles de l’esprit. Telle est la pensée que paraît renfermer cette sentence de Léonard de Vinci : « Ce ne sont pas les proportions qui font la beauté, mais une qualité des proportions ; » si on la rapproche, surtout, de cette autre du même auteur: « La peinture a pour fin la représentation de l’âme. » Telle aussi dut être la pensée de Pascal. Sans doute il a pu croire, et avec lui Descartes et Leibniz, que souvent, dans l’exercice de nos facultés, ce qui paraît être instantanéité n’est que mouvement, ce qui semble être intuition n’est que promptitude de raisonnement. Il n’en est pas moins vrai que, suivant lui, dans notre perception de choses d’ordre intellectuel et moral principalement, l’union de parties en touts, de