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à l’élément éminemment actif de la nature spirituelle la supériorité.

Dans cette conception se trouve en germe toute la philosophie de l’auteur des Pensées.


II.

Après avoir écrit dans une de ses réponses à Clarke : « Je ne crois pas qu’on ait sujet de dire que les principes mathématiques de la philosophie sont opposés à ceux des matérialistes : au contraire, ils sont les mêmes, » Leibniz ajoutait : « Ce ne sont pas les principes mathématiques, mais les principes métaphysiques qu’il faut opposer à ceux des matérialistes. » Et par les principes métaphysiques, il entendait ceux qui se rapportaient à la nature des âmes et de Dieu, objets, non comme les choses mathématiques, de l’imagination, mais du seul entendement.

Descartes, avant Leibniz, opposait les unes aux autres les choses imaginables et les intelligibles, en faisant de celles-ci seules les objets de la métaphysique.

Pascal oppose aux objets des mathématiques d’autres objets tout différens, qu’il ne réunit pas sous une dénomination commune, qu’il se borne à énumérer et à dépeindre, mais où il est facile de reconnaître ce qu’il aurait pu appeler, si c’eût été le langage de son temps, les choses de nature esthétique et morale; et en même temps il caractérise par des traits précis les facultés de l’esprit auxquelles ressortissent respectivement ces deux sortes d’objets. Aucun autre, en effet, n’a eu une conscience plus nette de la différence des deux ordres de choses et de facultés dont le contraste correspond à celui de la matière et de l’esprit ; aucun autre n’a eu de la nature spéciale des deux ordres un sentiment aussi juste et aussi vif, et n’en a aussi bien connu les conséquences.

Pascal, fils d’un habile géomètre et entouré dans son enfance de savans du même genre, avait débuté par la géométrie. La physique l’occupa bientôt, et il commença ainsi à passer des abstractions aux réalités. Jusque-là pourtant il étudiait des choses, non pas encore ces réalités supérieures qui sont les esprits. Les rapports où il entra avec quelques personnages du grand monde l’initièrent à la vie de la cour, cette vie si agitée, vie de tempête, comme il l’a appelée, où il apprit à connaître, parmi tous les mouvemens que s’y donnent les hommes, les ressorts secrets auxquels ils obéissent. La fréquentation de femmes de haute culture dut contribuer pour beaucoup à affiner sa rare intelligence, et un amour digne de lui paraît s’être emparé alors de son cœur : c’est ce dont témoigne le Discours, qui a été