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duc, qui parle de la France, en grasseyant, comme de sa vraie patrie, qui réunit dévotement des reliques de sainte Thérèse et des cheveux de Lucrèce Borgia, qui cache avec soin son adresse et ne chante en ses vers que Messaline, Phryné ou Impéria, tandis qu’il est en réalité le mari très dévoué d’une vieille femme acariâtre, un père de famille modèle ; et le petit Posthlethwaite, le prince des esthètes, un lis du Japon à la boutonnière; et Dennistoun, le poète du blasphème, de l’amour fougueux, effréné, presque féroce, un être chétit d’ailleurs, infirme, à demi mort; et ce Lewis, enfin, dont les dessins sont tous dédiés à la beauté mystérieuse, maladive, fantastique et cruelle, loveliness in decay, selon le programme esthétique, épris, pour son compte, de magnétisme et de perversité, veuf d’une femme sentimentale qui, à trente-cinq ans, avait quitté pour lui un mari capable, par amour, de demander le divorce. Il y a là plus d’un portrait, travesti ou dénaturé, cela va sans dire, plus d’une allusion malicieuse. L’auteur ne pèche pas par trop d’indulgence; il nous donne toutefois un échantillon de l’Anglaise adoucie, attendrie, grâce à un semi-esthéticisme, lequel n’est que le sentiment très pur et très féminin du beau opposé aux tendances scientifico-utilitaires vers le vrai, qui, dans l’autre camp, s’exagère de plus en plus, même chez les jeunes filles. Entre celles qui ne rêvent plus que de réformes sociales, qui s’adonnent aux sciences exactes, développent leurs muscles et se coupent les cheveux courts, et celles qui, comme Keats, ne sont certaines de rien que de la vérité de l’imagination et font de toute leur vie un rêve mystique, quelque peu entaché de préciosité, nous oscillons, avec de secrètes et malsaines préférences latines pour ces dernières, en dépit de leurs menus ridicules et de ce qui peut leur manquer de moelle, de backbone.

Il y a quelque chose de si effroyablement positif et absolu dans le caractère anglais tel que nous le rencontrons chez Richard Brown, par exemple, ce philistin, ce barbare, qui s’aventure chez les esthètes pour se rapprocher de sa cousine ! Vernon Lee le résume en quelques lignes, ce caractère type : « Une grossièreté de fibre indéfinissable, un manque d’appréciation, de sympathie pour l’idéal des autres, une tendance à mépriser tous ceux qui ne se placent pas au même point de vue et ne poursuivent pas le même but que lui, et, par-dessus tout, un désir inconscient de domination, un besoin presque animal de suprématie, que son sentiment de ce qu’il y a en lui de pur, de droit et de dévoué le conduit à chérir comme si c’était là une sorte de Saint-Esprit et non pas uniquement le résultat d’un tempérament brutal que seuls une noble intelligence et un caractère généreux ont élevé