Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/377

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la guerre, ils n’interdiront pas à leurs élèves d’apprendre le français, et ceux-ci ne rougiront pas de le savoir ; au contraire, ils en seront fiers.

Nous avons laissé sur ce point liberté complète aux Tunisiens, nous n’avons pas imaginé, comme on en a eu l’idée ailleurs, d’émanciper les filles arabes par l’instruction obligatoire, nous ne nous sommes pas immiscés dans la famille pour y disputer au père une autorité à laquelle il tient comme à son honneur et qui dans la société musulmane n’a jamais été partagée. Moins nous semblerons contraindre les Arabes à se franciser, plus vite ils viendront à nous d’eux-mêmes. Cela est si vrai qu’à Tunis, où nous avons ouvert des cours non pour faire disparaître leur langue, mais, au contraire, pour l’apprendre aux Européens, ils se font inscrire en foule, à leur tour, à nos propres écoles, et demandent qu’on les multiplie. Le chef de leur religion a donné l’exemple ; en reconnaissance de notre modération, il a publié une sorte de mandement dont tous les membres du clergé et les professeurs ont eu connaissance : « Je regrette, a-t-il écrit, que mon grand âge ne me permette plus d’aborder l’étude de votre langue, je serais le premier à suivre vos leçons ; mais je vous enverrai mes fils. »

Les Tunisiens avaient d’ailleurs peu de préjugés, et se rendaient compte depuis assez longtemps déjà des bienfaits qu’ils pouvaient tirer de notre instruction ; nous n’avons pas eu à les convertir, il a suffi de ne pas les tourmenter. D’eux-mêmes, avant notre arrivée, ils avaient senti le besoin de donner à quelques-uns de leurs enfans une éducation européenne, c’est-à-dire française : les plus riches envoyaient les leurs dans des lycées à Paris ; pour les autres, le bey Mohammed-es-Sadok, sous l’inspiration du général Kheireddine, avait fondé un vaste établissement, le collège Sadiki ; il lui avait attribué une riche dotation, le produit de tous les vols d’un de ses anciens premiers ministres, Mustapha-Khasnadar, dont il avait fini par confisquer les biens. Cette dotation constituée en biens habbous n’en fut pas moins dilapidée ; les immeubles religieux sont inaliénables, mais même avant la réglementation du contrat d’enzel on pouvait les échanger. Un premier ministre, d’accord avec le proviseur, les échangea, de telle sorte qu’à notre arrivée le collège n’avait plus rien : 400,000 francs de revenus s’étaient envolés en six ans.

Le premier soin du nouveau gouvernement fut de reconstituer l’administration de ce collège et, de-ci, de-là, par un procès, par un sacrifice, un compromis, de lui donner de quoi subsister. — Les élèves, cinquante internes, cent externes, tous Arabes, entrent au concours, et pendant sept années suivent gratuitement des cours d’arabe, de français, d’histoire, de géographie, de mathématiques, etc. Ils savent parfaitement écrire et parler notre langue ;