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peut-être trop vite, — il est bon de le signaler. Les voies ferrées qu’elle livre à l’exploitation avec une exactitude rare, avant même le terme fixé, ne sont pas toujours bien solides. Elle a construit, entre autres, la ligne de Duvivier à Chardimaou ; des glissemens, des affaissemens se produisent chaque jour, et plus qu’ailleurs, quoi qu’on en dise. La terre n’a pas eu le temps de se tasser. Je ne parle pas de ces remarquables travaux d’art, de tous ces beaux ponts dont les tabliers ont été emportés l’hiver dernier par la Medjerdah. Le régime hydrographique de la Tunisie n’est pas encore connu ; on ne peut évaluer que d’après des renseignemens arabes la hauteur maximum qu’atteignent les rivières et les torrens après les pluies ; on est donc obligé de bâtir les ponts d’après des présomptions. Je ne crois pas faire tort à la Société des Batignolles, qui rend de très grands services, en ajoutant à mes louanges l’amertume légère d’un conseil : en prévision de l’inconnu, qu’elle construise plus solidement.

Le port de Tunis absorbera la plus grosse partie des économies de la régence, plus de 12 millions de piastres y sont affectés par le budget de 1887 ; par conséquent, Sousse, qui s’est admirablement développée depuis le protectorat, Sfax, Gabès, attendront encore pour avoir les leurs; cependant on leur donne des appontemens, le génie a contribué pour sa grande part à ces travaux que réclamait l’armée pour l’embarquement, le débarquement des hommes, des chevaux, des subsistances ; on drague tant bien que mal ; on répare, on entretient et surtout on fait la police. Plus les ports sont défectueux, plus il est difficile d’obtenir des barques maltaises, grecques, siciliennes ou autres de l’obéissance ; le désordre régnait en maître au détriment du fisc, des commerçans, des voyageurs et des habitans ; nous y avons mis fin par une réglementation que tous observent depuis que les capitulations sont supprimées.

Nous n’avons rien dit de la fameuse mer intérieure, qui devait transformer une partie du désert et des oasis en lac salé, bouleverser la production du sud de l’Algérie et de la Tunisie, en substituant des poissons plus ou moins chimériques aux dattes; nous nous réservons de parler ailleurs de cette étrange conception. Qu’il nous suffise de savoir que le projet primitif a été récemment abandonné, et qu’il ne s’agit plus aujourd’hui d’augmenter la surface de la mer, mais de creuser des puits et d’en tirer le plus d’eau douce possible pour arroser les palmiers, créer des oasis et sauver celles qu’envahissaient les sables. M. de Lesseps est à la tête de cette entreprise de forages artésiens, qui, grâce à son influence, sans doute, n’a plus aucun caractère maritime : elle réussit déjà, m’assure-t-on; elle peut donner les résultats les plus heureux pour l’avenir de la Tunisie.