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Tâche ardue que celle d’imposer ces précautions! ardue et ingrate! source de difficultés sans fin : dresser un cahier des charges qui n’expose pas l’état à des procès dans l’avenir et qui en même temps ne soit pas trop dur pour les Français; un cahier des charges dont on ne puisse pas dire qu’il est « antipatriotique. »

L’administration des forêts a été créée ; elle exploite pour le compte de l’état ; en Kroumirie, elle a fait démascler 800,000 chênes-lièges pendant les trois premières années.

Ainsi, rien n’empêche plus la mise en valeur du sol; dessus et dessous, il est rendu au travail. — En un an, les Européens achètent 40,000 hectares de terre aux Arabes ; ils apportent des machines, appliquent facilement dans ce pays plat, aux terres d’alluvion, des méthodes de culture perfectionnées : un grand nombre de Français dirigent eux-mêmes et sur place ces exploitations qu’ils ont acquises de leurs deniers. L’expérience faite à l’Enfida, domaine trop vaste, 140,000 hectares, a été instructive ; la société qui essayait sans succès de l’administrer de Marseille a dû commencer à le vendre par morceaux après y avoir fondé un village et quelques marchés, creusé des puits, tracé des chemins. M. P. Leroy-Beaulieu estime, dans son ouvrage sur la colonisation, que « le type de propriété qui parait le plus convenir aux Européens dans la période présente en Tunisie est celui d’un domaine de 1,000, 2,000 ou 3,000 hectares. » — Les champs de céréales s’étendent peu en raison de la concurrence des blés d’Amérique et de Russie, mais ils sont beaucoup mieux travaillés qu’il y a six ans ; les vastes pâturages ne sont plus déserts; les troupeaux de moulons s’y montrent peu à peu; les vignobles se multiplient autour des villes, le long du chemin de fer ; des plaines en sont couvertes : beaucoup donnent déjà du vin; j’ai bu, en 1883, du vin blanc de Carthage. Partout se manifestent, chez les Arabes comme chez les nouveaux arrivans dès que ceux-ci sont installés, l’activité, la confiance. On se hâte de défricher, de semer, de planter. Dans les villes, les métiers ont repris la vie. Dès l’été de 1883, la Tunisie pouvait donner à l’Europe une idée de ses ressources en prenant part à l’exposition coloniale d’Amsterdam, où son pavillon obtint un éclatant succès. Loin de bouder ou de s’abandonner comme un vaincu, le pays se réveille : c’est à qui profitera de la sécurité qu’apporte notre occupation.

Les bénéfices pourtant n’arrivent pas tout d’un coup. Les propriétaires qui ont de la bonne volonté ne sont pas tous riches, il faut les soutenir, leur faire crédit. Des banques se fondent qui aident aussi les industriels, les commerçans. Ces derniers sont vite assez nombreux pour qu’on ait pu instituer une chambre de commerce