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plein cœur à l’œuvre réparatrice n’en soient pas récompensées et ne finissent pas par se redresser tout à fait. Il leur faut du courage, de la résignation, et bien souvent savoir se vaincre à force d’humilité. Les maîtresses, — bourgeoises ou patronnes d’atelier, — Chez qui vont servir ces malheureuses, ne sont point toutes des créatures angéliques, tant s’en faut. Les âmes charitables et pénétrées de noblesse ne sont point rares, je le sais; beaucoup de femmes qui acceptent des libérées de Saint-Lazare, dont on ne leur a point laissé ignorer les antécédens, sont bonnes dans l’acception large du mot; elles s’associent de leur mieux aux efforts tentés par l’œuvre et, à force de patience, de douceur, essaient de ramener des esprits que le vice a mal conseillés, que la punition a affaissés et qui, malmenés par le sort ou par leur faiblesse, restent méfians des autres et d’eux-mêmes. Presque toujours c’est la mansuétude qui triomphe et fait naître des dévoûmens dont parfois on reste surpris. L’ancienne détenue en accomplissant tous ses devoirs a reconquis tous ses droits.

Malheureusement, il n’en est pas toujours ainsi. Plus d’une femme, de caractère dur et de calcul parcimonieux, va prendre une servante parmi ces déclassées de la prison, parce qu’elle sait qu’elle aura « barre sur elle, » lui donnera des gages dérisoires, l’accablera de besogne et la tiendra toujours à merci par l’abjection même de son passé. Celles que leur mauvaise fortune pousse chez de telles maîtresses deviennent des souffre-douleur et peuvent se croire aux travaux forcés. A la moindre étourderie, à la moindre erreur de service, la litanie des reproches commence et recommence : « Vous savez, ma fille, il ne faut point oublier où je vous ai ramassée, et que sans mon bon cœur vous seriez encore dans le ruisseau; ce n’est pas tout que d’avoir été voleuse et d’être reprise de justice, il faut obéir et tâcher d’être moins bête. » La malheureuse courbe la tête comme un chien battu et ne souffle mot ; il lui semble que tout l’édifice social pèse sur elle et que l’on va venir la chercher pour la reconduire en prison. Les avanies se renouvellent; elle les supporte encore, elle les supporte toujours et finit par en prendre l’habitude; à moins qu’un jour l’exaspération ne la saisisse et qu’avec une maladresse calculée, elle ne laisse tomber une lampe alimentée d’huile de pétrole qui met le feu à la maison où l’on s’est plu à la faire souffrir.

Le nombre des femmes que l’Œuvre des Libérées de Saint-Lazare parvient à retirer du bourbier où elles croupissaient est-il considérable? Des chiffres officiels peuvent répondre: 1 ?(&é femmes, je l’ai dit, ont passé au vestiaire pendant le cours de l’année 1886; sur cette quantité, 216 y sont retournées, réclamant l’intervention.