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la grille de la cheminée, l’air y était tiède et l’on y travaillait de bon cœur. C’est la maison comme il en existe tant aux environs de Paris, la maison de l’ouvrier qui a fait des économies et dont le plaisir consiste, pour se défatiguer le dimanche, à se donner une courbature en travaillant à son jardin. Tout est petit : le couloir d’entrée, la maison, l’escalier, la cuisine, les chambres, le jardinet muni d’un puits et où s’élève l’inévitable gloriette tapissée de vigne vierge. C’est propret, d’apparence modeste et garni un peu à la diable, de meubles, d’ustensiles, de tableaux même donnés par quelque bienfaiteur qui déménageait. Quatre lits dans une chambre, c’est le dortoir des femmes ; trois couchettes dans une autre pièce, c’est le dortoir des enfans. Dans la salle à manger, une fillette de seize ans à peine faisait « une page d’écriture » qu’elle copiait dans un livre d’histoire. C’est Mme de Barrau qui exige que les libérées illettrées, — Et elles sont nombreuses, — soient, autant que possible, assidues à s’instruire, c’est-à-dire acquièrent quelques notions de lecture, d’écriture et de calcul. Elle a raison; c’est un outil de plus qu’elle place entre les mains de la femme, qui devra son existence à son travail.

La jeune fille qui commence si tard son apprentissage scolaire et qui, chose rare, écrit mieux qu’elle ne lit, est de celles dont on dit volontiers : elle n’a pas de défense. Assez grande, de visage allongé, avec les pleines joues de l’adolescence, bien faite et de regard timide, elle a je ne sais quoi de faible et d’amolli qui indique une volonté flottante. La main longue a des doigts en fuseau, bien séparés, de forme fine, qui doivent être naturellement adroits et habiles aux ouvrages délicats : là sera peut-être le salut. Elle est sortie de la prévention de Saint-Lazare avant de comparaître devant la justice; donc sur elle nulle flétrissure. Son histoire est des plus simples; c’est celle de beaucoup de pauvres filles que le diable a tentées, parce que, dans le milieu misérable où elles avaient toujours vécu, elles n’avaient jamais eu à repousser de tentations, Née dans un hameau, elle est la plus âgée de six enfans ; son père et sa mère, paysans pauvres, cultivent quelque lopin de terre dans un des départemens maritimes du nord-ouest de la France. Quand elle eut quinze ans et demi, on l’envoya à Paris : «Va! Bon vent de fortune, tu es dans la ville où l’or ruisselle; tu n’auras qu’à le baisser pour en ramasser. » Elle ne savait rien que traire les vaches et sarcler le sillon ; elle savait aussi distinguer l’avoine du froment, science peu appréciée des Parisiens. Elle se plaça comme bonne à tout faire ; c’est le lot de celles qui ignorent tout. Elle était soumise, ne regimbait point contre les rebuffades, était peu payée et admirait les robes de soie que, de la fenêtre de sa cuisine, elle