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Lorsque la prévenue est vieille ou déformée par la maladie, réduite, par sa faiblesse même, au vagabondage et à la mendicité, on s’en va au second bureau de la première division de la préfecture de police, où sont des hommes que le contact permanent avec les gens de mauvais monde a rendus plus compatissans que sévères. On obtient d’eux, sans trop de peine, une entrée, — C’est presque une faveur, — au dépôt de Villers-Cotterets. Là, du moins, la pauvre vieille aura la nourriture et le logement; elle aura de vastes dortoirs et de larges préaux ; deux fois par semaine, elle pourra aller se promener dans la forêt, et comme, pour sortir, elle aura besoin de vêtemens convenables, c’est le vestiaire de l’œuvre qui les lui donnera. Pendant l’année 1886, le nombre des femmes reçues en hospitalité à Villers-Cotterets, par l’intermédiaire de la Société des Libérées, s’est élevé au chiffre de dix-huit. Parfois on est en présence d’une femme qui, par ses relations et quoiqu’elle ait été emprisonnée, trouve en province une place où elle ramassera son pain; on l’habille et on lui remet non pas ses frais de route, mais le billet du chemin de fer qui la conduira à destination. On ne sera pas surpris, dès lors, qu’en 1886 le vestiaire ait distribué mille cent quarante-trois pièces de vêtemens, et qu’une somme de 912 francs ait été employée à payer le prix des places en wagon de troisième classe. Les compagnies de chemin de fer, avec lesquelles l’œuvre s’est mise en relations, accordent généreusement une réduction de moitié, ce qui est participer à la bonne action dans une large mesure.

J’ai visité le vestiaire, je m’y suis assis à côté de la secrétaire, à la fois douce et ferme, auprès de Mme Bogelot, qui mène l’instruction avec la sagacité d’un juge bienveillant prêt à tout sacrifice utile, mais habile à ne point se laisser duper. Sur la table, au milieu des paperasses, un gros registre : c’est le livre d’enquête, suivi d’un répertoire qui facilite les recherches. Là, chacune des femmes dont l’œuvre s’est occupée a son nom et son état civil accompagnés d’une courte notice qui est, en quelque sorte, le résumé de sa vie, ou du moins de ce que l’on en peut connaître. Un seul coup d’œil jeté sur le livre d’enquête permet de savoir immédiatement les antécédens de « la cliente. » j’ai pu constater là combien l’œuvre se dilate, naturellement, par le seul fait de son existence, et combien son action s’est étendue, tout en restant circonscrite autour de son but primitif, qui est le relèvement et l’amélioration de la femme. Une jeune femme est entrée, vêtue de noir, de bonne tenue et de façons accortes ; c’est une ouvrière en lingerie qui, à la condition de travailler dix ou douze heures de suite, parvient à gagner 1 fr. 25 ou 1 fr. 50 par jour. Elle est mariée; son mari a fait je ne sais quelle sottise et a été condamné à un