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sans croire à l’innocence champêtre, on peut estimer que le milieu n’est pas sans influence sur l’esprit, et que les grands bois, les prairies, la vaste étendue des champs donnent d’autres enseignemens que de vieilles murailles saturées d’impureté. C’est en pleine campagne qu’il faut les envoyer, et les astreindre non pas au travail agricole auquel elles sont impropres, mais aux besognes féminines, à la couture, à la broderie, à l’apprentissage de métiers sérieux où elles trouveront le gagne-pain de l’avenir, sans discipline trop rêche, sans cette morale banale qui ne tient pas compte des aptitudes particulières et qui, par cela même qu’elle s’adresse à tout le monde, ne parvient à convaincre personne. Que le travail soit assidu, qu’il soit surveillé, qu’il soit exigeant, mais qu’il soit coupé par des récréations dont la jeunesse a besoin sous peine de s’étioler; qu’il soit récompensé par des jeux violens qui fatiguent, qui apaisent et font oublier. Ici il ne s’agit point de punir, il ne s’agit que d’améliorer. Or, pour une jeune fille de quatorze à vingt et un ans, le séjour à Saint-Lazare est une punition et la plus dure de toutes. Lorsque nous étudions aujourd’hui le système des prisons et des hôpitaux du siècle dernier, nous reculons d’horreur. L’historien qui, dans cent ans, remuant les vieux papiers et consultant les documens officiels, voudra reconstituer Sainte-Pélagie, Saint-Lazare, le Dépôt de mendicité de Saint-Denis et la Salpêtrière, ne comprendra pas que de tels établissemens décrépits, insalubres à tous les points de vue, aient pu subsister de nos jours, et il en conclura que Paris, — La Ville Lumière, — avait des parties dont l’obscurité morale est désespérante. La lenteur et la difficulté des communications font comprendre que jadis on ait installé à Paris même des établissemens hospitaliers ou pénitentiaires dont la vraie place était aux champs ; il n’en va plus de même à l’heure qu’il est, et les chemins de fer sont, à cet égard, un auxiliaire qu’il serait facile d’utiliser. Chacun y trouverait son compte : les vieillards reçus en hospitalité, les enfans soumis à la correction paternelle, et l’administration elle-même, qui serait débarrassée de bien des soucis qu’elle doit aux maisons défectueuses qu’on la condamne à utiliser.

Les femmes dont je vais avoir à parler n’appartiennent pas indistinctement à toutes les catégories que garde Saint-Lazare ; je ne dois et ne veux m’occuper que de celles que réclame la justice, qu’elle juge, qu’elle condamne ou qu’elle acquitte. Et encore, parmi celles-ci, les criminelles échappent à mon étude ; car, lorsqu’elles ont comparu en cour d’assises et qu’elles ont été frappées d’une peine dépassant un an et un jour d’emprisonnement, elles sont conduites dans les maisons centrales, où il leur sera interdit de parler et où leur nom ne sera plus qu’un numéro d’ordre. Si après leur condamnation elles demeurent encore quelque temps à