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en partie factice ou calculée, si l’on veut, dans tous les cas fort bruyante. Il y a eu les menaces, les démonstrations, les sommations impérieuses, les actes d’accusation passionnés et retentissans contre tout ce que fait ou ce que pense notre pays. Les déclarations officielles du chancelier lui-même étaient, il est vrai, en contradiction avec tout ce bruit ; mais pendant ce temps, la guerre des soupçons, des polémiques acrimonieuses continuait, et sur nos frontières mêmes on faisait tout ce qu’il fallait pour émouvoir les susceptibilités françaises par toute sorte de mesures extraordinaires, comme si on allait entrer en campagne ou si l’on s’attendait à être attaqué. C’est là le spectacle qu’a offert l’Allemagne dans ces dernières semaines, en s’étourdissant elle-même du bruit qu’elle faisait. — D’un autre côté, la France n’a opposé que le calme à toutes les manifestations. Ce n’est pas qu’elle se méprît sur le danger, ou que ce calme dans lequel elle se renfermait cachât une défaillance : il est bien clair, personne n’en a douté, que la nation française, le jour où elle aurait été attaquée, aurait marché comme un seul homme ; mais elle a laissé passer tout le reste, et les polémiques accusatrices, et les provocations, et même les démonstrations qui auraient pu la blesser, aussi bien que les mesures ou les témoignages de défiance dont on aurait pu se dispenser. Elle a gardé, sous les coups d’aiguillon qui ne lui ont pas été épargnés, une impassibilité assez nouvelle pour son ardente et impétueuse nature. La France a donné d’elle-même cette idée que, si elle était froidement résolue à désavouer la responsabilité d’une effroyable guerre, elle était certainement en état d’opposer à toute agression une résistance dont on n’aurait pas facilement raison. C’est précisément cette attitude simple et mesurée qui a été une force pour elle, qui lui a valu l’estime du monde, qui a eu peut-être son influence en Europe, en laissant aux gouvernemens le temps de s’éclairer et de réfléchir.

Ce n’est point assurément, il faut bien voir les choses comme elles sont, Que les cabinets européens éprouvent un prodigieux intérêt pour la France. Ils sont trop accoutumés à nos instabilités ; ils ont vu trop souvent les passions de parti se substituer à la prévoyance et à l’esprit de suite dans nos affaires. Les malheurs de notre généreuse nation avaient pu réveiller chez quelques-uns d’entre eux des sympathies que nos gouvernemens ont refroidies ou dont ils n’ont su tirer aucun avantage. Bref, il faut en prendre son parti, nous ne sommes ni les enfans gâtés ni les enfans terribles de l’Europe. Il n’est point douteux cependant que cette attitude de simple et calme fermeté que la France s’est donnée, pour ainsi dire spontanément depuis quelques semaines, n’a pas tardé à produire son effet. Dans beaucoup de pays où l’on commence toujours par donner tort à notre nation, on a fini par convenir que ce