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REVUE MUSICALE

Théâtre de la Scala de Milan : Otello, drame lyrique en 4 actes, paroles de M. Arrigo Boito, musique de Giuseppe Verdi.

Nous souhaitions ici même, il y a peu de semaines, que, d’un point quelconque de l’horizon, un grand souille se levât; il s’est levé. Il est éclos sur la terre d’Italie, sur les lèvres encore éloquentes de cette vieille mère de l’harmonie. Depuis trop d’années, la musique semblait ingrate pour sa première patrie, et elle ne chantait plus guère que le dur langage allemand ; depuis Aïda et la Messe pour Manzoni, le génie latin se taisait. Il vient de rompre le silence, et d’une voix si éclatante, avec de tels accens, qu’il a fixé peut-être pour un moment l’idéal attendu, au moins cet idéal passager qui dure quelques générations humaines et nous donne quelques années de bonheur.

Après deux auditions et de nombreuses lectures, Otello nous paraît être le chef-d’œuvre de Verdi et l’un des chefs-d’œuvre de notre temps. On cherchait le type nouveau du drame lyrique : le voilà ! La voilà, la réforme de l’opéra, simplement accomplie, sans réclame ni charlatanisme ; voilà les chemins ouverts à la jeune musique par le plus vieux des musiciens. L’art avec Otello fait un pas en avant. Que demande notre époque au drame musical? Un souci de plus en plus grand de la vérité, un accord de plus en plus intime entre la parole et la note, l’étude de l’âme et l’expression des passions, l’abandon des vieilles formules exclusivement musicales, un orchestre éloquent, des harmonies intéressantes. Ces vœux, Wagner, malgré tout son génie, les a entendus, mais sans les combler. Ou plutôt il les a trop satisfaits. Il a poussé à bout des doctrines qu’une application rigoureuse a perdues;