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habileté. Et, à ce propos, je me reprocherais fort de ne pas ajouter que, dans Mont-Oriol, la dureté coutumière de M. de Maupassant s’est singulièrement attendrie, et qu’il est demeuré sans doute pessimiste, mais enfin que son pessimisme a souri. Si le marquis de Ravenel, ce gentilhomme bien pensant, « qui confond dans une estime égale et sincère Mahomet, Confucius et Jésus-Christ, » si son fils Gontran, si le banquier William Andermatt, son gendre, si le père Oriol, si les docteurs Bonnefille et Latonne expriment encore, chacun à leur façon, et sans le savoir, l’opinion de M. de Maupassant sur la vie, cependant des scènes aimables ou souriantes, presque passionnées, émouvantes en tout cas, font diversion, dans Mont-Oriol, à cette perpétuelle ironie qui nous attristait dans Une Vie comme dans Bel-Ami. Qui est-ce qui n’est pas pessimiste? M. Paul Bourget a le pessimisme sentimental et apitoyé; d’autres, comme Loti, l’ont poétique et voluptueux; M. de Maupassant l’avait dur et hautain : le meilleur est peut-être encore de l’avoir discret, et il l’est dans Mont-Oriol. Avec son mélange tout humain de force et de faiblesse, d’abandon et de dignité, de tendresse et de désespoir, Christiane Andermatt est charmante; et, pour les sœurs Oriol, pour Charlotte surtout, je ne me rappelle pas que M. de Maupassant nous eût rien tracé d’aussi délicat. Si, pour en faire un petit chef-d’œuvre, il ne faudrait qu’effacer peut-être un ou deux traits de la jolie scène où Charlotte Oriol, abandonnée par Gontran, laisse éclater son chagrin enfantin, la scène finale, et qui clôt le roman même, entre Christiane et Paul Brétigny, est vraiment belle et d’une beauté noble. Ce genre de scènes et l’émotion qu’elles provoquent, — Dont on est assez sûr avec M. de Maupassant qu’elle ne tournera jamais au sentimentalisme, — voilà ce qui manquait encore à ses romans, et voilà ce que nous sommes heureux de signaler dans Mont-Oriol.

Est-ce la fin du naturalisme, tel du moins que certains romanciers l’ont compris trop longtemps, étroitement borné, dans le choix de ses sujets comme dans ses moyens d’expression, au bas comique et à la grossièreté? Nous l’espérons au moins. Les querelles d’école ne sont point si stériles ni si vaines que l’on dit; mais enfin elles ont leur temps. Lorsque les romantiques eurent accompli leur tâche, un romantique survint, il s’appelait Gustave Flaubert, qui fit lui seul beaucoup plus contre eux, avec Madame Bovary, qu’aucun classique ou pseudo-classique, en enrageant, ne l’avait pu trente ans durant. Maintenant que le naturalisme à son tour a terminé sa besogne, qui n’était point tout à fait inutile, qui laissera certainement sa trace dans l’histoire de l’art contemporain, — sa trace et ses fumées, — il n’appartient d’en triompher enfin et de l’achever qu’à un naturaliste. Celui-ci d’ailleurs n’aura pour cela que peu de chose à faire, puisque en se souvenant que la vie est la substance de l’art, et qu’il faut commencer par l’étudier