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tend son corps, grossit son dos, se frotte contre son maître. Selon Darwin, ces mouvemens bienveillans sont l’antithèse des mouvemens agressifs, qui se trouvent être différens chez le chien et le chat : en effet, le chien tend et raidit son corps pour attaquer et courir sur l’ennemi; le chat se couche, s’aplatit, fait onduler son corps pour prendre son élan. — Cette explication de Darwin est peu satisfaisante. Le chat lui-même, quand il est à la fois irrité et épouvanté, prend une forme arquée et tendue, comme le prouve la gravure même placée par Darwin dans son livre. Si le chien fait onduler son corps pour manifester sa joie, c’est que cette joie, plus vive que celle du chat, qui est moins affectueux, produit un besoin de mouvemens, des sauts, des gambades, tout au moins de vives ondulations du corps ou de la queue. Si le chien se couche devant son maître, c’est par soumission et abandon. Le chat, moins expansif, se contente de manifester son affection par un besoin de frottement et de contact, accompagné d’une sorte de tension électrique des muscles. C’est la différence de tempérament et de caractère moral entre les deux animaux qui associe à des nuances de sentimens différentes des attitudes également différentes : l’une expansive, l’autre « concentrique. »

Les physiologistes ont entièrement rejeté le principe darwinien de l’antithèse, et les exemples donnés par Darwin peuvent, en effet, le plus souvent s’expliquer d’une autre manière. Malgré cela, nous croyons que ce principe a une valeur psychologique que Darwin n’a pas su mettre en lumière. L’association des états de conscience n’a pas seulement lieu par analogie, elle a lieu aussi par contraste et antithèse : ce ne sont pas seulement les semblables, mais aussi les contraires qui s’associent entre eux, et cette loi psychologique se manifeste surtout dans le domaine des sentimens. C’est qu’il existe une antithèse fondamentale entre le plaisir et la douleur, entre l’acceptation par la volonté et la répulsion par la volonté. Un lien organique a dû s’établir entre ces opposés, de manière à produire une bifurcation perpétuelle des mouvemens. Il n’est donc pas étonnant que le contraire d’un sentiment s’exprime par des mouvemens ou attitudes contraires, en dehors même de toute considération d’utilité ou de tout choix de la volonté. Il y a une antithèse évidente entre le froncement des sourcils et leur position verticale, entre tous les signes physiques de l’effort et ceux du calme, entre la concentration et l’expression. Ce contraste est un des moyens qui facilitent l’intelligence des signes.

Ainsi, la loi d’antithèse n’est qu’un cas particulier de la loi d’association, qui elle-même résulte du naturel concert de tous les organes. Ce concert, cette société est si bien le caractère essentiel