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expressives[1]. Quelles que soient les causes, quels que soient les objets, nous ne pouvons faire que désirer ce qui augmente notre activité et repousser ce qui la diminue : la langue des émotions, qu’elles soient physiques ou morales, n’a donc au fond que deux mots traduits de mille manières et avec mille nuances : oui et non.

Réciproquement, l’expression volontaire d’un sentiment qu’on n’éprouve pas encore le fait naître, en faisant naître les sensations qui lui sont liées et qui, de leur côté, s’associent aux sentimens analogues : l’acteur qui exprime et simule la colère finit par ressentir, en une certaine mesure, de la colère. L’hypocrisie absolue est un idéal : elle n’est jamais complète chez l’homme ; réalisée jusqu’au bout, elle serait la contradiction même de la volonté avec soi. En tous cas, la nature l’ignore : la sincérité est la première loi de la nature comme elle est la première loi de la morale. Et il en est de même de la sympathie : la nature ne connaît pas l’isolement de l’idéal égoïsme ; elle rapproche, elle confond, elle unit. Comme la chaleur et la lumière, elle ne peut donner la vie et la sensibilité sur un point sans les faire rayonner sur les autres ; loin de fermer les « monades, » elle les ouvre toutes sur autrui. Jusque dans l’organisme individuel, elle établit une société : celui qui se croit un et solitaire est déjà plusieurs; moi, c’est déjà nous. C’est pour cela que tous les organes, cœur, artères, nerfs et muscles, sympathisent avec le cerveau et racontent, chacun dans sa langue propre, la souffrance ou la jouissance qu’ils partagent. C’est pour cela aussi que le cerveau sympathise avec les organes, qu’il change en tristesse leur douleur, en sentiment leur sensation ; il leur renvoie sa peine et la reçoit multipliée : une idée triste a bientôt pour cortège des myriades de sensations pénibles, depuis les mouvemens du cœur ou de la poitrine jusqu’aux parties les plus superficielles de l’organisme.

A l’association des sensations ou des sentimens analogues se rattache, selon nous, la troisième des lois d’expression que Darwin a étudiées sans en montrer le vrai sens psychologique. Cette loi, on s’en souvient, est celle de l’antithèse. Certains états de l’esprit, dit Darwin, entraînent chez l’animal certains actes habituels qui sont utiles à l’entretien ou à la défense de la vie, par exemple tels mouvemens agressifs ; quand se produit un état d’esprit directement inverse, l’animal accomplit instinctivement et par antithèse les actes opposés, alors même qu’ils sont inutiles. Ainsi, selon Darwin, comment le chat et le chien expriment-ils leur intention bienveillante? Le chien prend une forme onduleuse, se couche, s’aplatit; le chat

  1. Voir le tableau dressé par M. Sully Prudhomme: touchant, dur, tendre, pesant, ferme, solide, poli, sec, âpre, pénétrant, poignant, piquant, écrasant, etc.