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la masse entière et lui imprime un mouvement général de concentration : la terreur est la panique interne des cellules vivantes. Dans la colère, le mouvement en avant se propage d’une extrémité à l’autre : tout se dresse, tout s’emporte, tout menace: la fureur est la déclaration de guerre et le premier mouvement de l’armée des cellules. La solidarité sociale des élémens dont nous sommes composés n’est pas seulement sympathique, elle est défensive et active. L’expression est donc un phénomène social de sympathie et de synergie qui est d’abord intérieur à l’organisme avant de s’étendre aux organismes voisins.

Ainsi s’explique, selon nous, l’association des sensations semblables entre elles, et celle des sensations avec les sentimens semblables. Wundt a insisté sur ces deux lois psychologiques, en se bornant trop peut-être à les constater. En vertu de la première loi, les sensations analogues s’associent : les sous graves ont une parenté avec les couleurs sombres ; les sons élevés avec les couleurs claires et avec le blanc. Le son aigu de la trompette, le jaune et le rouge éclatant se correspondent. On dit avec raison qu’il y a des couleurs criardes; on dit aussi qu’il y a des couleurs froides et des couleurs chaudes. Entre le timbre de la flûte et le bleu des nuits tièdes d’été, il y a autre chose qu’une affinité de hasard. Helmholtz a montré que les sons de la flûte se rapprochent des sons simples, privés de ces harmoniques qui viennent se superposer en si grand nombre aux notes fondamentales du violon. Le son de la flûte a donc la pureté du ton simple, tandis que le son du violon est d’une extrême complexité. Dès lors, il n’est pas étonnant que le violon rappelle une voix humaine et exprime des émotions très complexes, tandis que la flûte rappellera plutôt les voix, les sentimens purs et simples de la nature, aux heures de calme. Les anciens estimèrent la flûte un instrument incomparable, parce qu’ils aimaient surtout le beau simple ; les modernes préfèrent le violon avec ses accens humains et tragiques. En tout cas, jamais il ne viendra à la pensée d’un Mozart de symboliser le calme des nuits bleues autrement que par le son de la flûte, ou d’un Weber, de rappeler les résonances lointaines de la forêt autrement que par le son du cor.

La raison de ces affinités qui existent entre les sensations diverses, c’est qu’elles viennent se ramener à une fondamentale unité : elles sont toutes, au fond, des excitations et des réactions sympathiques du même appétit primordial. Les sens supérieurs sont trop raffinés pour laisser apercevoir, sous leurs arabesques infinies, la simplicité du dessin primitif, mais les sensations inférieures ne sont autre chose que plaisir ou peine, vie facile ou vie difficile, mouvement aisé ou effort, volonté libre ou volonté contrainte.

La même unité foncière explique, selon nous, l’autre grande loi psychologique