Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/174

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’ont rien de contradictoire : toute peine est un combat, sinon avec d’autres hommes, du moins avec des ennemis intérieurs : on comprend donc que toutes les manifestations de la lutte, et aussi du travail, accompagnent la peine.

La dernière période de la douleur est toujours l’épuisement, la prostration, la perte de la tonicité, le relâchement des traits, l’extinction du regard ; on voit bien alors que les centres nerveux « sont en pleine banqueroute. » Quant aux larmes, elles semblent rentrer dans la loi générale. Selon Darwin, les pleurs « sont des vestiges rudimentaires de ces accès de cris si fréquens et si prolongés dans l’enfance, qui congestionnent les yeux et les glandes lacrymales[1]. » Wundt objecte à Darwin que les jeunes enfans poussent des cris violens sans verser une larme. Selon lui, les larmes sont une sécrétion destinée à protéger l’œil contre les insultes mécaniques, parce qu’elles débarrassent l’œil des corps irritans; les impressions pénibles de la vue, puis les impressions générales de tristesse, même morale, se sont liées peu à peu à la sécrétion des larmes. On voit la difficulté qu’offrent toutes ces questions dans le détail physiologique ;

  1. Les pleurs sont rares chez les animaux ; cependant ils s’y produisent parfois. L’éléphant indien pleure assez souvent après avoir été capturé. Il reste « immobile, accroupi sur le sol, sans manifester sa souffrance intérieure autrement que par des larmes qui baignent ses yeux et roulent incessamment. » Dans les premières semaines, les enfans ne répandent pas de larmes; les glandes lacrymales ont besoin d’une certaine habitude acquise pour entrer en action. L’habitude peut rendre les larmes de plus en plus faciles, et même volontaires. Un missionnaire de la Nouvelle-Zélande affirme que les femmes peuvent y répandre à volonté des larmes abondantes. « Elles se réunissent pour gémir sur leurs morts et se font une gloire de pleurer à l’envi.»
    Les pleurs, selon Darwin, « semblent venir d’une succession de phénomènes analogue à la suivante. L’enfant, réclamant sa nourriture ou éprouvant une souffrance quelconque, a d’abord poussé des cris aigus, comme les petits de la plupart des animaux, en partie pour appeler ses parens à son aide, en partie parce que ces cris constituent eux-mêmes un soulagement. Des cris prolongés ont amené inévitablement l’engorgement des vaisseaux sanguins de l’œil, engorgement qui a dû provoquer, d’abord d’une manière consciente et ensuite par le simple effet de l’habitude, la contraction des muscles qui entourent les yeux pour protéger ces organes. En même temps, la pression spasmodique exercée sur la surface des yeux, aussi bien que la distension des vaisseaux intra-oculaires, a dû, sans éveiller pour cela aucune sensation consciente, mais par un simple effet d’action réflexe, impressionner les glandes lacrymales. » Enfin, grâce au passage facile de la force nerveuse par les voies qu’elle a habituellement parcourues, « il est arrivé que la souffrance provoque aisément les sécrétions des larmes, sans que celles-ci s’accompagnent nécessairement d’aucune autre manifestation. » Darwin explique par les mêmes principes l’obliquité des sourcils et l’abaissement des coins des lèvres, qui accompagnent la douleur ou le chagrin. L’enfant qui pleure, tout en poussant des cris, contracte ses muscles orbiculaires, sourciliers et pyramidaux, afin de protéger ses yeux dans l’engorgement des vaisseaux sanguins, comme nous les contractons devant une vive lumière. De même, il donne à sa bouche en criant une forme quadrangulaire. Par l’habitude et l’hérédité, ces mouvemens sont devenus instinctifs.