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l’Acropole, avec le Parthénon dans la cour, ils se sont jetés dans la musique italienne, grâce à des maîtres de violon ou de piano italiens qui sont venus chercher fortune dans le pays. Les Grecs se sont habitués aux banalités mélodiques de mauvais compositeurs parés du nom de maestri, et ils croient que c’est là toute la musique. Eux-mêmes ont commencé à composer, non pas seulement des romances à l’italienne, mais même l’opéra. Il en est un qui, dit-on, se joue avec succès en Italie dans ce moment même ; il s’intitule Flora admirabilis, mots latins, et a pour auteur le maestro grec Samaras. Je n’en puis rien dire ; je voudrais néanmoins savoir comment il serait reçu à Paris. Quoi qu’il en puisse être, les Grecs sont un peuple très musicien ; il possède une musique populaire souvent très belle et toujours originale ; il a conservé dans ses chants et ses danses les modes et les genres créés par ses ancêtres. Pourquoi les Grecs ne font-ils pas comme les Russes, qui possèdent, eux aussi, d’admirables richesses nationales et qui les exploitent, tandis que les musiciens hellènes méconnaissent les leurs ? Un peuple nouveau emprunte aux étrangers jusqu’au jour où il s’aperçoit qu’il est aussi riche qu’eux.

Quant à la poésie, une grande scission s’est produite dans Athènes. Les uns prétendent que la langue réformée n’est pas poétique et n’admettent dans les vers que le patois des palicares. Les autres disent qu’un peuple qui se respecte commence par adopter le langage des honnêtes gens. Nous nous garderons bien de prendre parti dans cette querelle ; elle doit se vider sur place ; notre appréciation serait stérile. Tout ce que nous pouvons souhaiter, c’est que la Grèce moderne produise des Simonides et des Pindares. Elle a ses chansons klephtiques, dont beaucoup sont d’une poésie saisissante, bien qu’elles soient en langue barbare. Athènes offre un exemple probablement unique dans le monde, au moins par sa singularité : entre ses nombreux journaux, elle en a un tout en vers ; non-seulement les articles, mais les entrefilets, les annonces, la date et le titre sont en vers klephtiques, c’est-à-dire en langue populaire ; il s’appelle le Romios (o Romios ephimeris, pou tin graphi o Souris) ; il n’est pas très poétique, mais il est amusant.


IV.

Nous croyons avoir donné une idée suffisante de ce qui dans le peuple grec intéresse un étranger. Immobile durant quatre siècles, il est entré à portes ouvertes dans la civilisation. Il y a marché, il y marche aussi vite que les nations de l’Europe les plus avancées. S’il les suit, c’est qu’il est entré longtemps après elles dans la carrière ; mais il profite du travail qu’elles ont fait pour en aplanir le