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aura supprimé le budget des cultes, tout cela cessera en même temps, et nos prêtres se trouveront à peu près dans la condition des prêtres orthodoxes. Seulement ils ne sont pas mariés ni préparés à la vie indépendante du citoyen laïque. Quand un jeune papas, sorti du séminaire où il a fait des études suffisantes, vient comme curé dans quelque village, il peut y épouser une fille de bonne maison, jouir d’un honnête revenu, occuper un rang distingué dans le pays et remplir sa fonction sacerdotale avec toute la dignité qu’elle comporte. La pauvreté n’est honorée en aucun pays ; mais le savoir et la bonne éducation peuvent compenser la pauvreté. Le clergé grec a fait des progrès rapides, grâce à l’instruction qu’on lui donne. Quand j’ai visité la Grèce pour la première fois, je l’ai vu bien ignorant, bien pauvre et fort avili. Beaucoup de papas vivaient dans la misère ; ils étaient à peine vêtus, on voyait leurs vieux membres amaigris sous les déchirures de leurs haillons. Tout s’est amélioré par le travail et l’instruction ; les nouveaux prêtres comptent parmi les gens distingués dans leurs paroisses ; leur savoir et leurs bonnes manières rayonnent autour d’eux.

On a donc jugé en haut lieu que la religion, telle qu’elle est en Orient, est une force nationale qu’on aurait tort de dédaigner. Elle est nationale à plusieurs titres ; en effet, comme le prêtre est père de famille, il a les mêmes droits, les mêmes devoirs, les mêmes intérêts que les autres citoyens. En second lieu, les églises du rite orthodoxe ont juste la même étendue territoriale que les états où elles existent. Le seul lien qu’elles aient entre elles est le patriarcat; mais le patriarche n’a aucun pouvoir ni sur le dogme, ni sur les clergés locaux. Il ne ressemble en rien au pape des catholiques, qui est tout-puissant et infaillible. Les politiques d’Athènes ont donc raisonné juste en considérant la fonction du prêtre comme une fonction publique, assimilable à tout autre service national. Le projet d’ôter à cette fonction le caractère de gratuité qu’elle a eu jusqu’à ce jour a gagné sa cause ; donner un traitement aux curés n’est plus qu’une question de budget et d’opportunité. Le moyen mis en avant et qui paraît devoir être adopté prochainement consiste dans la suppression des couvens ; comme la vente des terres dont jouissent ces communautés ferait entrer de fortes sommes d’argent dans les caisses de l’état, une partie servirait à doter le clergé séculier, à le consolider et à relever sa condition. Sera-t-il ensuite plus national et plus patriote qu’il ne l’est? Non sans doute, mais il fera meilleure figure et tiendra mieux son rang dans une société où tout est en progrès.

Je ne quitterai pas ce sujet sans faire remarquer que le mouvement que je signale est précisément l’inverse de celui qu’on remarque chez nous ; car les Grecs vont créer chez eux un budget