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le général Valée, reconnaissant que les batteries du Mansoura avaient produit sans grand résultat le maximum de leur effet, s’était décidé, d’accord avec le gouverneur, à faire conduire au Coudiat-Aty la majeure partie de leur armement. D’autre part, des gens de peu d’expérience ou de science obsidionale avaient émis l’idée que le génie pourrait pétarder une des portes du front d’attaque ou bien ouvrir dans la muraille une brèche par la mine; il ne fut pas difficile aux gens du métier de réduire à néant cette imagination de féerie. On devait s’en tenir aux efforts du canon.

Pendant qu’on se préparait au transport malaisé des lourdes pièces de siège, une discussion des plus graves balançait les destins de Constantine et de l’armée. Comme naguère à Bône, une sorte de conseil de guerre s’était réuni au quartier-général ; comme à Bône, avec plus d’autorité encore et d’insistance, les pessimistes énuméraient les chances contraires, qui de mauvaises étaient devenues pires, le nombre des malades et des blessés, la fatigue de tous, la diminution rapide des munitions et des vivres, l’épuisement des chevaux qui mouraient par centaines, le vent dont on entendait les rafales et la pluie qui tombait par torrens. Dans un article plein d’émotion et de couleur, publié ici même, dans la Revue, au mois de mars 1838, le capitaine de La Tour du Pin a fait une allusion vague à cette crise ; depuis, les souvenirs du docteur Bonnafont, attaché à l’ambulance de la 1re division, sont venus y ajouter ce témoignage précis : « A onze heures du soir, le sous-intendant d’Arnaud vint me trouver et me dit confidentiellement à l’oreille : « Mon cher docteur, dites à l’officier d’administration, aussi doucement que je vous le dis moi-même, de préparer tout le matériel de manière à ce qu’il puisse être chargé aussitôt que l’ordre vous arrivera ; on débat par là en ce moment la question de savoir si on doit persister dans les travaux de siège que le temps contrarie à chaque instant, ou s’il ne serait pas plus sage de battre de nouveau en retraite. » Enfin, voici dans une lettre particulière du général Lamy, commandant en second le génie de l’armée expéditionnaire, un témoignage encore plus explicite et décisif : « A notre grand dommage, un temps affreux se déclara ; le sol ne présentait plus que boue et rochers ardus. Il fut convenu que l’artillerie devait changer de position et gravir, en vue de la place, un autre sommet pour pouvoir ouvrir une brèche praticable; mais le tiers des chevaux était mort de faim et de froid, et il ne restait plus que pour six jours de vivres; il en fallait quatre au moins pour regagner l’asile créé à Mjez-Ahmar, en abandonnant toute la grosse artillerie. Alors recommencèrent avec plus d’énergie les récrimina- lions de ceux qui, dès l’origine, s’étaient opposés à l’entreprise ; ils réclamaient la retraite immédiate, commandée par l’humanité