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d’honneur et de patriotisme excita une discussion qui fut vive. « A Compiègne, continue le duc d’Orléans, j’eus avec mon frère des conversations sur lesquelles je vous demande de me taire, ainsi que sur ce que j’appris du désespoir du roi et de l’état de toute ma famille. Il me devint évident, et tous mes amis en jugèrent comme moi, que mon départ pour l’Afrique compromettait l’union de ma famille, cette union si précieuse qui seule nous a soutenus dans les temps d’épreuves ! Je tombai alors dans un état d’angoisse inexprimable, placé entre mon avenir, oui, mon avenir brillant et bon, et des affections bien chères. Enfin, je me décidai, et mon frère allant à Paris ce matin pour exposer au roi sa position, je lui dis en partant que je n’avais rien de nouveau à lui confier, et, en même temps, je lui remis la lettre ci-jointe pour le roi. » Voici cette lettre:

« Sire, j’ai reçu de votre main la plus grande faveur que je puisse espérer pour ma carrière; votre bonté m’est acquise. Plus elle a été grande, plus vous m’avez sacrifié vos scrupules, plus les miens s’élèvent, et j’éprouve maintenant, au-dessus du désir de mon propre avancement, le besoin de ne pas augmenter votre inquiétude et peut-être votre danger, et de ne pas fausser mes rapports avec mon frère Nemours. Vous consentirez que ce soit à moi qu’il doive le pas que je vous demande de lui faire faire, comme c’est à vous seul que j’ai voulu devoir le commandement de l’expédition de Constantine. j’y renonce pour que Nemours fasse la campagne. Dieu seul et moi saurons jamais ce que, depuis trente heures d’angoisses, ce sacrifice m’a coûté. Le monde dira que j’ai reculé devant le commandement de l’expédition, que j’ai été fort attrapé qu’on me l’ait accordé et que, sous un faux prétexte de générosité, je me suis exempté de la corvée. Je supporterai cette cruelle humiliation avec la liberté de cœur et d’esprit d’un homme résigné à perdre un immense avantage personnel, si à ce prix il assure l’union de sa famille, le repos de son père qu’il sait être cruellement troublé, et s’il calme le cœur de sa mère... Je ne fais rien à demi, sire ; je boirai jusqu’à la lie le calice que j’ai détourné de vos lèvres, je resterai à Compiègne, et je trouverai quelque consolation à ma tristesse si, dans la fermeté et le sang-froid avec lesquels je supporterai tout, jusqu’aux propos qui viendront empoisonner cette blessure, vous voyez une garantie de ce que j’eusse fait dans la mission que vous m’aviez confiée. Mon frère Nemours ignore totalement ce que je vous écris ; j’ai voulu que ce fût vous qui le lui apprissiez, sire, et je vous demande de permettre que lui et moi nous gardions le silence sur ce qui s’est passé entre nous. Je vous prie également de communiquer cette lettre au comte Molé. j’attendrai votre réponse par estafette pour écrire aux généraux Bernard, Valée, Fleury et Damrémont. »

« Maintenant, reprend la lettre au général de Damrémont, je