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gouvernement dans la lutte contre le désordre. Il est allé plus loin, il a fait publiquement une obligation à M. Gladstone de s’expliquer, de s’avouer le leader du parti nationaliste irlandais, l’allié de M. Parnell, de M. Dillon, de M. O’Brien, ou de rompre avec eux. M. Goschen, M. Trevelyan, lord Selborne, lord Northbrook ont tenu le même langage. M. Bright, dans une lettre qu’il a adressée au président de la réunion, a désavoué toute complicité avec le home-rule. M. Chamberlain, quoique absent, a tenu à envoyer par le télégraphe son adhésion à la manifestation. Au meeting libéral de Willis-Room succédait, dès le lendemain, un meeting conservateur où lord Salisbury, à son tour, dans une véhémente sortie contre les chefs de l’agitation irlandaise, a hautement et cordialement accepté l’alliance des libéraux. Le chef du cabinet s’est d’ailleurs, fait un devoir d’ajouter à ses énergiques déclarations contre la désordre des nationalistes le programme des réformes qu’il entend proposer pour l’Irlande comme pour les autres parties du royaume-uni. De sorte que l’accord entre les libéraux et les conservateurs semble provisoirement assez complet. Il peut se rompre sans doute dès qu’on abordera les réformes que le gouvernement se propose de présenter au parlement ; Il n’existe pas moins, à l’heure qu’il est, dans l’intérêt de la défense de l’intégrité britannique, et c’est évidemment une force sérieuse pour le gouvernement. C’est un premier point garanti. Après cela, il faut l’avouer, on n’est pas encore à la solution, et plus d’un ministère anglais est peut-être destiné à s’user dans cette tâche ingrate, presque impossible de réconcilier l’Irlande, — qui ne veut pas être réconciliée.

L’Italie, dans la paix qu’elle s’est faite, vient de perdre un de ses guides, un homme de la grande génération libérale à laquelle elle doit sa résurrection. M. Marco Minghetti vient de s’éteindre après une brillante existence consacrée tout entière au service de son pays. Né à Bologne, dans les anciens états de l’église, il avait été, jeune encore, associé à la généreuse entreprise de M. Rossi pour la fondation d’un gouvernement constitutionnel à Rome. Il était devenu plus tard un des collaborateurs les plus intimes, un des alliés les plus intelligens, les plus actifs de M. de Cavour, et, après M. de Cavour, il avait été tour à tour ministre des finances, président du conseil, chef de parti dans le parlement. Depuis plus de vingt-cinq ans, il n’a cessé d’être mêlé aux affaires de l’Italie nouvelle. C’était un financier habile, un politique délié et souple, un libéral à la fois hardi et mesuré, un écrivain élégant et un orateur plein de séduction. L’Italie rend aujourd’hui tous les honneurs à M. Minghetti comme à un de ses premiers serviteurs, et, en l’honorant, c’est elle-même qu’elle honore et qu’elle relève.


CH. DE MAZADE.