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confier au papier les solutions les plus hardies, parce qu’on n’avait pas à craindre le contrôle de la réalisation.

Ce qui est bien frappant, en tout cas, c’est l’intime connexion qu’il y a entre les neuf derniers chapitres d’Ézéchiel et les parties sacerdotales et lévitiques de la Thora. De même que, à côté de Jérémie, naît en quelque sorte spontanément le Deutéronome, comme forme codifiée de ses idées ; de même, à côté d’Ézéchiel, apparaît cette Thora sacerdotale que nous appellerions le Lévitique, si ses membres épars ne se trouvaient également dans l’Exode, dans les Nombres et dans Josué. Les procédés de construction idéale, si l’on peut s’exprimer ainsi, sont bien les mêmes. Le tabernacle et le camp israélite dans le désert sont conçus sur une espèce de papier quadrillé, tout à fait analogue au temple d’Ézéchiel et à sa carte de Palestine, où toutes les lignes sont droites. La raideur, l’a priori, l’impossibilité, sont les mêmes de part et d’autre. Dans beaucoup d’endroits, surtout dans certaines parties du Lévitique, le style a une forte analogie avec celui du prophète. Qu’on change le tour des instructions censées données par Dieu à Ézéchiel, dans les visions de l’art 575, qu’on les présente comme dictées par Dieu à Moïse sur le Sinaï, on pourra croire, en lisant ces visions, qu’on a sous les yeux des chapitres du Lévitique.

Le Livre de l’Alliance, le Décalogue, le Deutéronome, restaient à la base des institutions religieuses de la nation ; mais quelques idées nouvelles, très importantes, tendaient à s’établir. La situation des lévites était une plaie toujours saignante, et on n’y voyait, après le retour, aucune amélioration possible. On visait de plus en plus, d’après la théorie d’Ézéchiel, à séparer les prêtres des lévites. Selon cette manière de voir, les prêtres seuls servent Iahvé ; les lévites servent les prêtres ; leur fonction est celle de sacristains ou d’hiérodules, occupés aux grosses besognes du temple. Comme toutes les institutions modernes devaient avoir leur racine dans les temps mosaïques, la Vie de Moïse fut enrichie de légendes destinées à prouver que toute tentative de la part des lévites pour usurper les fonctions sacerdotales est un crime digne de la mort. Les chantres et musiciens paraissent avoir occupé parmi les lévites une sorte de rang d’honneur. Ces fonctions étaient censées avoir été, du temps de David, entre les mains d’une sorte de tribu lévitique qu’on appelait les Beni-Qorah, ou fils de Coré. On leur supposait, peut-être se supposaient-ils à eux-mêmes un auteur de leur nom du temps de Moïse. Une légende terrible se forma sur ce Qorah. Il avait prétendu à des pouvoirs sacerdotaux égaux à ceux d’Aaron. Une sorte de jugement de Dieu fut ordonné. Les Aharonites, d’un côté, les Qorachites, de l’autre, s’approchèrent du tabernacle avec leurs