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torité de l’Allemagne indépendante représentée par la diète de Francfort dans l’exécution fédérale décidée sur le Bas-Elbe. Malheureusement tout avait changé. Il y avait désormais à Berlin un homme pour qui le Slesvig-Holstein n’était qu’un prétexte, qui ne songeait qu’à saisir l’occasion de fonder la prépondérance prussienne par le fer et le feu, au détriment de la vieille Confédération, dont il se moquait, aussi bien qu’au détriment de l’Autriche, dont il fait s’était une complice momentanée et abusée. Pendant que M. de Beust en était encore à ses rêves d’iniervention fédérale dans les duchés de l’Elbe, M. de Bismarck marchait à son but, réduisant les petits états à l’impuissance, compromettant l’Autriche dans ses entreprises et se servant d’elle pour l’accabler ensuite. Toute la diplomatie du ministre saxon se trouvait déjouée par la précipitation des événemens, que M. de Bismarck conduisait avec une imperturbable audace, et avant peu la politique de la a troisième Allemagne » était emportée avec tout le reste dans le Louveau et gigantesque conflit qui allait se dénouer à Sadowa. M. de Beust, dans cette redoutable crise, était sans doute un bon patriote qui croyait l’Allemagne intéressée à s’affranchir également de la domination autrichienne et de la domination prussienne. Au fond, sa plus vive antipathie était contre la Prusse ; au moment de la rupture entre les deux puissances, il n’avait pas hésité à s’allier à l’Autriche, et il était vaincu avec elle. Il n’était plus même admis par M. de Bismarck, au lendemain de Sadowa, à traiter pour la Saxe, qui restait à la discrétion du vainqueur. M. de Beust semblait disparaître dans un si grand désastre ; c’était au contraire le moment où, par un singulier retour des choses, il allait retrouver une fortune nouvelle. Avantque trois mois fussent passés, en effet, il était appelé par l’empereur François-Joseph à la direction des affaires de l’Autriche. Le petit ministre saxon, en changeant de patrie, devenait le chancelier d’un grand empire !

La position du nouveau ministre impérial était certes des plus délicates. L’avènement inattendu d’un étranger au pouvoir dans un pareil moment pouvait être et était en effet vu avec ombrage à Vienne ; il pouvait aussi exciter des susceptibilités et même plus que des susceptibilités à Berlin où M. de Bismarck gardait un assez amer ressentiment contre le petit ministre de Saxe avec qui il n’avait pas voulu traiter. C’était justement l’art de M. de Beust d’aller sans embarras au-devant de ces premières difficultés, de savoir se dégager habilement de son passé et entrer d’un esprit libre dans son nouveau rôle. Ce n’est pas qu’il eût oublié, qu’il ne sût dans le secret de sa pensée où était l’ennemi ; mais il savait aussi en homme avisé que, pour le moment, l’Autriche ne pouvait avoir d’autre politique que de se recueillir, de réorganiser ses forces, de rétablir surtout la paix entre les diverses parties de l’empire, et, dès son arrivée au ministère, sa première préoccupation était de négocier avec la Hongrie ce compromis qui dure en-