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de ses héroïnes sont restées des types immortels de dévoûment et de sacrifice. Polyxène accepte la mort pour échapper à la servitude, aux outrages d’un maître, à l’opprobe « d’une couche naguère désirée des rois. » Beaucoup ont fait comme elle. Mais Macaria « sort de la vie par la voie la plus glorieuse » en s’offrant à la mort pour délivrer Athènes ; Évadné refuse de survivre à son époux ; Alceste meurt pour sauver le sien, et Iphigénie veut mourir pour la Grèce. La mort d’abord l’effraie et elle supplie Agamemnon de ne pas céder aux instances meurtrières de Calchas : « O mon père ! je n’ai d’autre science que mes larmes ; je mets à les pieds le rameau des supplians et je presse contre les genoux le corps que ma mère a mis au monde pour toi : ne me fais pas mourir avant le temps. La lumière du jour est si douce, ne m’envoie pas aux abîmes souterrains. Je suis la première qui t’ai appelé mon père ; la première que tu appelas la fille. Assise sur les genoux, je t’ai donné de tendres caresses et j’en ai reçu de toi. Alors tu me disais : « O ma fille ! te verrai-je quelque jour heureuse au foyer d’un puissant époux ? » Et moi, suspendue à ton cou, touchant la barbe comme je le fais encore, je répondais : « Pourrai-je, mon père, offrir à la vieillesse la douce hospitalité de ma maison pour le rendre les soins dont tu as entouré mon enfance ? » Racine a imité cette prière en des vers d’une solennelle harmonie, mais combien ceux d’Euripide ont plus de naturel et de grâce touchante ! André Chénier, cet autre Grec, s’en est souvenu en écrivant sa Jeune Captive, qui, elle aussi, disait :


Je ne veux pas mourir encore.


Mais quand Iphigénie sait que l’oracle exige sa mort pour la victoire de la Grèce, son âme se relève, l’enthousiasme la saisit, l’exalte et elle court d’elle-même au-devant du couteau du prêtre : « Eh quoi ! des milliers d’hommes sont armés pour venger la patrie, et la vie d’une femme leur serait un obstacle ? Je me donne à la Grèce. Immolez-moi et renversez la cité de Priam. Ses ruines rappelleront à jamais mon nom. Voilà mon hymen, mes enfans, mon triomphe ! » Après avoir lu ces vers, on pourra pardonner à Euripide d’avoir écrit que la femme est « le plus impudent des animaux. » Il respecte Sophocle ou, du moins, il ne fait pas contre lui de méchantes allusions, mais il n’a point de sympathie pour Eschyle ; cela se conçoit, et Aristophane lui fera payer cher cette injustice. Quant à la politique, il n’y en a pas dans Euripide, sauf quelques allusions à des événemens de la lutte entre Sparte et Athènes. On voit cependant qu’il n’aime ni les Eupatrides, ni les orateurs populaires, et que le gouvernement par la multitude lui semble « un terrible fléau. » Comme Aristote, il donne la sagesse à la classe moyenne, qui ne l’a