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qui s’est appelé dans l’histoire la « sainte-alliance, » comme le couronnement étrange d’une lutte d’un quart de siècle entre la révolution française et l’Europe. Œuvre « vide et sonore, » c’est le dernier mot dont l’accable le chancelier autrichien !

Pendant ce nouveau séjour à Paris, suite de la seconde invasion de la France, M. de Metternich ne cessait d’être mêlé à toutes les négociations jusqu’à la dernière, celle du traité mystique dont il était le premier à se railler discrètement. Il restait le médiateur le plus actif entre les ambitions, les cupidités, les jactances, les impatiences de représailles, réveillées par la guerre parmi les vainqueurs, surtout parmi les Prussiens. Il ne se défendait pas d’observer et de juger l’état de la France en curieux sceptique, sans illusion sur le nouveau règne qu’on venait de restaurer. Il avait pris logement à l’hôtel de l’ancien ministre de la marine Decrès, d’où il avait vue sur les champs Élysées transformés en un camp anglais. Les alliés étaient chez eux et ne se refusaient pas l’orgueilleux plaisir de se conduire en maîtres. M. de Metternich a laissé dans une de ses lettres à sa fille Marie un souvenir caractéristique de ce moment unique de l’histoire « … J’ai dîné hier, dit-il, chez Blücher, qui a son quartier-général à Saint-Cloud. Il habite ce beau château en général de housards. Lui et ses aides-de-camp fument là où nous avons vu la cour dans la plus grande parure ; j’ai dîné dans la pièce où j’avais eu des conversations de tant et tant d’heures avec Napoléon. Les tailleurs de l’armée sont établis là où l’on allait au spectacle et les musiciens d’un régiment de chasseurs pêchent à la ligne les poissons dorés dans le grand bassin sous les fenêtres du château. En parcourant la grande galerie, le vieux maréchal me dit : Faut-il qu’un homme soit fou pour avoir été courir à Moscou quand il avait toutes ces belles choses ! — En voyant du balcon cette immense cité qui brillait avec tous ses dômes au coucher du soleil, je me suis dit : Cette ville et ce soleil se salueront encore quand on n’aura plus que des traditions de Napoléon et de Blücher, — et surtout de moi ! .. » La ville et le soleil se saluent encore, pour parler le langage du diplomate : la nature n’a pas changé d’aspect. À un demi-siècle passé de distance cependant, les housards de Blücher devaient camper de nouveau dans le château de Saint-Cloud, non plus seulement pour fumer dans ses galeries, mais pour le laisser incendié ; ils devaient reparaître un jour en destructeurs sur ces collines, et dans l’intervalle, avant le retour de ces tragiques fatalités, M. de Metternich avait devant lui toute une carrière, près de quarante années de prépotence en Allemagne et en Europe. C’est le règne du chancelier autrichien, de sa diplomatie captieuse et souple, — avant le règne du chancelier prussien à la main de fer.


CHARLES DE MAZADE.