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les vivres et le vin. L’autre est économe et tient les registres de compte ; on l’appelle dispensator et son nom restera ; dans les domaines monastiques du moyen âge, ce sera le dépensier. Au-dessus d’eux est le procurateur, procurator; il représente le maître au dehors, il fait pour lui les achats et les ventes, il est son fondé de pouvoirs. A côté est l’agent, actor, dont les fonctions sont assez mal définies et qui paraît avoir été surtout chargé de maintenir le bon ordre dans le domaine, de répartir les corvées, de rendre compte au maître de tout ce qui se passe. N’oublions pas le silentiarius, qui est un surveillant, le custos finium, qui empêche l’étranger de franchir les limites et qui est une sorte de garde-champêtre, enfin le saltuarius, qui est un garde forestier.

Tous ces hommes sont de condition servile. Deux d’entre eux, l’actor et le procurator, peuvent être dans le pays d’assez gros personnages, hautains en proportion de la richesse du maître et souvent redoutés du voisinage ; ils n’en sont pas moins, comme les autres, de simples esclaves. Cela est attesté par les jurisconsultes du Digeste et par nombre d’inscriptions[1]. C’est surtout dans les choses de l’agriculture que l’esprit romain a su mettre la discipline. Or, il était parti de cette idée simple et juste que l’autorité sur les esclaves n’est jamais plus ponctuellement exercée que par d’autres esclaves. Pline le jeune écrit qu’il est un maître fort indulgent ; ses villici et ses actores l’étaient sans doute moins que lui, et par eux l’ordre sévère se maintenait. Encore au Ve siècle, avec le grand adoucissement des mœurs dans la population libre, « les esclaves tremblaient de peur devant l’actor et le silentiaire qui les accablaient de punitions et de coups. » c’est Salvien qui le dit, et il ajoute : « Ils sont terrifiés par ces surveillans, qui sont pourtant des esclaves comme eux, et contre leur dureté ils vont chercher un refuge auprès du maître.»

Au temps de Varron, de Columelle, de Sénèque, beaucoup de ces esclaves ruraux étaient enchaînés. Nous comprenons difficilement quelle était l’espèce de lien ou d’entrave qui pouvait leur laisser la liberté de mouvement nécessaire à un laboureur ou à un vigneron ; mais l’expression vincti, à propos de ces esclaves, revient plusieurs fois dans les écrivains du temps et rien n’indique qu’il faille la prendre au sens figuré. Pline le jeune se vante de n’avoir sur aucun de ses domaines d’esclaves enchaînés. Peu à peu, les mœurs s’adoucissant firent disparaître cet usage dont Salvien ne parle plus, et d’autres améliorations que nous verrons plus loin apportèrent quelque lueur de bien-être dans la vie de l’esclave.

  1. Il y a quelques exemples d’un procurator qui est homme libre; mais ces exemples sont rares.