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de 2,000 livres, une maison toute meublée à Altona, où le proscrit s’était installé, suivi dans cet exil par une femme depuis longtemps attachée à sa vie, dont ses malheurs n’avaient pas ébranlé l’affection[1]. Plus que jamais il caressait le projet de prendre place parmi les royalistes.

Ce projet datait de loin, avait dicté sa conduite antérieure. En 1795, il osait, à la veille des élections, en faire publiquement l’aveu. Il s’était adressé aux assemblées primaires pour expliquer l’adhésion que déjà il songeait à donner à la cause royale. Mais, comme s’il eût redouté que sa conversion, rapprochée des opinions qu’il avait naguère professées, ne fût pas comprise, il prenait soin de la justifier en indiquant, dans sa proclamation, à quelles conditions il se donnerait au prétendant. « S’il avait le malheur, disait-il, de croire pouvoir se faire roi par la force des armes ou par le secours des puissances étrangères, je le regarderais comme l’ennemi de sa patrie. Son seul titre pour monter sur le trône de ses pères est la volonté de la nation, qui l’y appellera. »

Cette théorie de la souveraineté du peuple, encore dans l’enfance, n’était pas faite pour disposer les émigrés à abdiquer leurs vieilles haines envers Dumouriez, inspirées par son passé politique, ses victoires sur la coalition, et, en dernier lieu, par ce qu’on savait de son attachement à la famille d’Orléans. Ils l’accusaient même de travailler pour elle, de vouloir substituer un prince de cette maison au légitime héritier de la branche aînée ; mais ces accusations n’étaient pas fondées. Dès ce moment, au contraire, Dumouriez avait mérité la reconnaissance des émigrés.

Si, par quelques-uns de ses écrits, il avait, en de rares circonstances, protesté contre l’intervention de l’étranger dans les affaires de France, en fait il s’était assez vite et assez résolument résigné à cette intervention pour la provoquer et l’encourager. La journée du 18 fructidor activa l’accentuation de ses sentimens; l’influence du prince de Hesse lui apprit comment il devait les manifester. Un voyage que, durant l’été de 1798, il fit à Copenhague, dissipa toutes

  1. Mme de Bauvert, sœur de Rivarol, réfugié lui-même à Hambourg. Dumouriez était marié. Il avait épousé une de ses cousines. Pendant quinze ans, le ménage vécut uni. En 1789, Mme Dumouriez découvrit que son mari la trompait. Après d’inutiles efforts pour le ramener, elle se réfugia dans un couvent à Coutances. Les lettres, pleines de reproches et de plaintes, qu’elle lui adressait, existent aux Archives nationales.