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d’une faveur spéciale, il ne lui est pas permis de mettre immédiatement à exécution un projet aussi galant. Il doit prévenir la ârifa de l’escouade à laquelle appartient la femme qu’il daignera, le soir, admettre auprès de lui. Aussitôt la ârifa s’empare de la favorite et la prépare à une aussi haute destinée. Elle la conduit d’abord au bain, la lave, l’essuie, la couvre de parfums. Elle la revêt ensuite des plus riches habits, des étoffes les plus fines et les plus moelleuses. Puis elle la pare, comme une véritable image, de tous les bijoux et diamans qu’on peut trouver dans le harem : diadèmes sur la tête, bagues et bracelets aux mains et aux bras, cercles d’or et d’argent aux chevilles. C’est dans cet état qu’elle la conduit au sultan qui l’attend avec patience, et elle ne se retire pas après la lui avoir livrée ; elle se tient à quelque distance dans la chambre où sa présence ne gêne personne. Bientôt le sultan lui rend l’heureuse ou malheureuse créature sans avoir touché à son costume, qui est resté intact, à tous ses ornemens qu’il a respectés. Même dans un pareil moment, il est resté roi et pontife.

Au reste, bien que la corruption soit très grande au Maroc, l’amour y est d’une simplicité parfaite. C’est dans les vices inavouables, qui n’y sont pas moins fréquens qu’en Orient, que les raffinemens sont poussés très loin. Mais si la plupart des hauts dignitaires de sa cour ont à cet égard la plus détestable réputation, le sultan, au contraire, n’est l’objet d’aucune médisance, voire même d’aucune calomnie, ce qui est une preuve d’innocence accomplie dans un pays où le dénigrement ne respecte rien. Les mœurs de Fès sont très mauvaises, celles de Meknès le sont plus encore. Le sultan, pour son compte, est immaculé. Son harem, dont il respecte le sévère cérémonial, lui suffit. Quant à ses femmes, j’ignore ce qu’elles pensent de ce cérémonial. Il paraît qu’elles arrivent bien vite à se soucier assez peu de leur maître et à souhaiter fort modérément d’être de sa part l’objet d’une attention particulière Leur manière de vivre est celle de toutes les réunions de femmes oisives et que ne retient aucune pensée supérieure. Les ârifas, personnes prudentes, tâchent que rien n’en transpire aux yeux du sultan, et tout est dit.

Parfois le harem est le théâtre de drames domestiques qui se terminent par le poison. Mais entre le poison et une maladie ordinaire, on fait peu de différence. Les intrigues politiques, les luttes d’influences personnelles sont bien plus vives autour du sultan que les intrigues et les luttes d’amour. Parfois aussi elles sont suivies de crimes. On raconte, par exemple, que le sultan Abd-er-Rhaman avait reçu de l’émir Abd-el-Kader une jolie fille chrétienne et française enlevée dans une ferme de la Mitidja. Il en eut deux fils élevés comme les autres princes, mais qui, à l’âge de vingt ans, portaient